L'Union européenne a lancé le samedi l'opération Triton, pour aider l'Italie à remplir ses obligations de surveillance et de sauvetage des migrants en perdition en Méditerranée. Rome, de son côté, met fin à Mare Nostrum, son opération qui a secouru plus de 150.000 personnes en mer depuis un an.
1/ Quels sont la mission et les moyens de l'opération Triton?
Depuis longtemps, l'Italie réclame le soutien des autres pays européens pour faire face à l'afflux croissant de migrants qui font la traversée de la Méditerranée dans de frêles embarcations bondées. Elle a enfin obtenu gain de cause: à compter de ce samedi, l'opération Triton, coordonnée par Frontex (l'agence européenne pour la surveillance des frontières extérieures) aura pour vocation de patrouiller en Méditerranée. «Fusion et extension» de dispositifs déjà existants, elle sera placée sous commandement italien et devrait coûter 2,9 millions d'euros par mois. Contactée par le Figaro, l'agence Frontex, qui n'a pas de moyens propres, prévoit pour l'instant le déploiement chaque mois de deux navires de haute mer, quatre patrouilleurs, deux avions et un hélicoptère. Elle assure avoir déjà reçu de la part des Etats des offres d'aide qui excèdent ses besoins «de manière significative». Huit pays, dont la France, ont ainsi proposé de mettre navires et avions à disposition. Frontex va aussi déployer cinq équipes d'enquêteurs - venus d'une douzaine de pays - pour aider les autorités italiennes à enregistrer les migrants à leur arrivée et collecter les informations sur les réseaux de passeurs.
2/ Jusqu'à présent, comment l'Italie gérait-elle la surveillance de ses côtes?
Pour l'Italie, ces dernières années, la situation est devenue intenable. Après deux naufrages ayant fait plus de 400 morts en octobre 2013, Rome a décidé de mettre en place, seule, l'opération Mare Nostrum. Son rôle: surveiller les eaux méditerranéennes 24h sur 24, avec des moyens conséquents: 32 navires déployés au total, deux sous-marins, des avions, des hélicoptères... et 900 soldats mobilisés chaque jour. Un dispositif très coûteux - plus de 9 millions d'euros par mois - presque entièrement pris en charge par l'Italie. C'est pourquoi celle-ci a exhorté l'Europe à prendre le relais, d'autant plus que ses efforts ont été vivement critiqués.
3/ Pourquoi certains États ont-ils pointé du doigt l'initiative italienne?
Mare Nostrum a permis d'arrêter 351 passeurs et de secourir plus de 150.000 personnes en un an, sans toutefois empêcher une multiplication des drames: au moins 3.300 migrants ont trouvé la mort en Méditerranée cette année. Certains pays estiment que l'opération - qualifiée par Berlin de «pont vers l'Europe» - a surtout eu comme effet d'encourager l'immigration clandestine en poussant les migrants à tenter la traversée. D'ailleurs, la Grande-Bretagne, très critique elle aussi vis-à-vis de Mare Nostrum, refuse de soutenir Triton, le gouvernement évoquant un «facteur d'attraction involontaire». Pourtant, selon le Haut-commissariat de l'ONU pour les réfugiés, l'emballement des départs remonte à avant le début de Mare Nostrum et reflète avant tout le désespoir des migrants, dont un quart viennent de Syrie.
4/ Quel avenir pour Mare Nostrum?
Après des semaines d'incertitude due selon la presse italienne à des divergences au sein même du gouvernement, le ministre de l'Intérieur Angelino Alfano a tranché: il a annoncé vendredi la fin prochaine de l'opération Mare Nostrum, qui s'achèvera après avoir accompagné Triton pendant deux mois. «L'Italie a fait son devoir», a-t-il souligné, ajoutant qu'a partir de ce samedi, Triton remplace bien Mare Nostrum. Pourtant, Frontex est très clair la-desssus: le dispositif européen, bien allégé par rapport à l'opération italienne, a vocation à soutenir et non pas remplacer celle-ci. «Triton est un outil de soutien et ne se substitue pas aux obligations de l'Italie», insiste-t-on à Bruxelles.
5/ Pourquoi les ONG tirent-elles la sonnette d'alarme?
Les moyens de Triton sont beaucoup moins importants. De plus, Mare Nostrum, mission de sauvetage à part entière, opérait jusque dans les eaux internationales, plus près des côtes libyennes, où les naufrages sont les plus fréquents. L'opération Triton, dont le principal objectif reste la surveillance, se limite quant à elle aux frontières maritimes de l'espace Schengen, à 30 miles des côtes italiennes, même si Frontex assure qu'elle pourra partiellement couvrir une zone plus étendue. «Les moyens déployés interviennent partout où ils sont nécessaires, y compris dans les eaux internationales», rappelle-t-on à l'agence européenne. «Les lois de la mer stipulent que si on t'appelle parce qu'il y a un danger, tu dois intervenir», a pour sa part déclaré le ministre de l'Inérieur italien. Il sera toutefois plus difficile d'intervenir si les patrouilles sont moins fréquentes, et si elles ne s'aventurent plus dans les zones en haute mer. Plusieurs associations ont ainsi lancé un appel vendredi pour que l'opération Mare Nostrum se poursuive. Nicolas J. Beger, directeur du Bureau des institutions européennes d'Amnesty International, estime qu'«à l'heure où le monde affronte la pire crise concernant les réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale, l'Union européenne et ses États membres doivent, de façon urgente et collective, construire des capacités de recherche et de sauvetage solides, pour remédier aux carences qui vont bientôt affaiblir ces opérations destinées à sauver des vies».
1/11/2014, Anne-Laure Frémont
Source : Le Figaro