mardi 5 novembre 2024 01:17

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Festival des Andalousies atlantiques, ou quand la voix de la paix prend l'ascendant

Alors qu'un peu partout dans le monde, le temps et à la divergence, aux conflits et aux pensées uniques, Essaouira, ce paisible petit port de l'Atlantique a rassemblé durant trois jours, le temps de la 11è édition du Festival des Andalousies atlantiques, une pléiade d'intellectuels, d'artistes, de penseurs et d'hommes d'Etat, mais également de simples citoyens qui ont fait, aussi bien sur les scènes artistiques que dans les espaces d'échange, le plaidoyer des valeurs de la paix, de l'altérité, du vivre ensemble et du rapprochement entre les civilisations.

Ainsi, le colloque du Festival, qui a agrémenté les matinées de cette manifestation phare de l'agenda culturel souiri, organisée du 30 octobre au 2 novembre, offre un espace de dialogue qui réunit les invités et le public du festival, d'origines et d'horizons aussi différents que riches, autour de thèmes profonds ayant trait au message central que porte la musique andalouse, qui est la diversité culturelle caractéristique de cet art ancestral.

Dans leur quête des points qui rassemblent les différentes civilisations alors qu'ailleurs dans le monde, beaucoup cherchent les points qui divisent-, les convives de Dar Souiri, des officiels, des spécialisés dans de multiples branches du savoir ou de simples profanes et des nostalgiques de la belle époque, laissent libre cours à leur parole, s'exprimant chacun dans le langage qu'il voit approprié pour faire parvenir son message, pour apporter, sans complexe, leur petite, mais précieuse, contribution à cette agora des temps modernes.

Dans cet espace de thérapie générale, on n'hésite pas à aborder même les sujets qui fâchent, dans les paroles les plus directes et sans jeux de mots, mais également sans se perdre dans les dédales de la politique et des discours politiciens étroits et calculateurs et tout en restant fidèles à l'esprit de ce colloque qui, au fil des ans, s'est forgé un style universel de débat, où toutes les visions se rencontrent, voire se complètent.

Parmi les points soulevés dans ce cadre, la question de l'appartenance dans ses dimensions territoriale et concrète, mais surtout spirituelle et immatérielle et ce, à travers l'apport des diasporas dans le rayonnement de leurs pays d'origine qui illustre ce lien indéfectible entre l'Homme et la terre.

La question des valeurs de cohabitation s'est également invitée à ce colloque, avec un focus sur les moyens de façonner une nouvelle génération imprégnée du regard partagé, qui débauche sur la clairvoyance, contrairement au regard isolé et qui est capable de refondre une société porteuse des principes d'ouverture sur la diversité culturelle et de connaissance de l'autre.

Dans ce sens, le système éducatif et la sphère intellectuelle ont été pointés du doigt, avec un appel pressant à modifier les programmes scolaires dans le sens de la promotion de la connaissance de l'autre, à instaurer le concept de l'éducation via la culture, à accorder une place de choix à l'art universel dans les approches pédagogiques et à initier des recherches dans l'histoire commune des peuples et œuvrer pour les traduire dans différentes langues.

Ce volet de l'histoire était fortement présent à travers la présentation, dans le cadre de ce colloque, de l'encyclopédie sur "l'Histoire des relations entre Juifs et Musulmans", publiée il y a un an en France par les éditions Albin Michel. Cet ouvrage expose et analyse les relations tour à tour fécondes ou tumultueuses entre juifs et musulmans, à travers la participation de quelque cent vingt auteurs de tous les pays, dans un esprit d'interdisciplinarité qui permet de rendre compte des multiples facettes du sujet. Les discussions autour de cette encyclopédie ont débouché sur un sujet épineux, celui de l'histoire, ou du moins de l'interprétation des faits historiques, et ses répercussions sur les clivages d'aujourd'hui.
Etant donné que les difficultés du temps présent se trouvent interprétées à la lumière de l'histoire, ont alors soutenu certains intervenants, il y a nécessité de "démythologiser" les questions et les événements négatifs et, également, positifs qui caractérisent l'histoire des relations entre les différentes civilisations et de les déconstruire, afin de les rebâtir sur des faits réels et des bases solides.

Sur ce dernier point, la question de la méthodologie a posé un sérieux dilemme : faut-il laisser la tâche de rétablir la réalité sur des faits historiques qui créent la discorde ou posent des problématiques liées à la responsabilité historique de certains actes et événements qui font l'objet de confrontation entre les cultures, aux seuls historiens, avec leurs procédés et méthodes stricts et parfois rigides qui peuvent aboutir sur l'impasse ? Ou doit-on se fier, également, aux témoignages vivants et aux œuvres littéraires et artistiques qui racontent le passé, prenant ainsi le risque de tomber dans les inexactitudes et les exagérations qui peuvent entacher de telles sources ?.

Cette question a donné lieu à une intéressante confrontation d'idée, qui, à certains moments pouvait frôler le frottement, intellectuellement parlant, sans pour autant tomber dans la crispation ou dévier du respect mutuel et de l'élégance qui font l'essence de ce colloque.

Et quand les intervenants sont en désaccord, la musique, qui ponctue ce forum, est là pour rappeler que grâce à l'art, tous peuvent trouver un terrain d'entente. Il suffit, pour le comprendre, d'écouter le "Daf" iranien de la musicienne Shadi Fathi, accompagnant avec ses émanations soufies époustouflantes les poèmes spirituels chantés en arabe et en hébreu par Haim Louk, un virtuose de la musique andalouse classique originaire de Casablanca, dans un spectacle improvisé sans égal.

Il faut également se laisser prendre par les sublimes voix de Françoise Atlan, qui puise sa culture artistique dans ses racines judéo-berbères, et Sanaa Marahati, native de Sefrou, sur fond d'un autre instrument iranien, le "Tar" (un instrument à cordes), le tout relevé par l'acoustique exemplaire et le cadre magnifique de Dar Souiri.

Car les artistes, en plus d'être les gardiens de la beauté, sont d'efficaces passeurs de civilisation. Sur ce registre, la programmation artistique du festival était riche en symboles, avec des musiciens et chanteurs de cultures et de générations différentes et dont la diversité disparaît dans le moule artistique de la musique andalouse.

L'illustration parfaite de ce dialogue artistique fût la rencontre sur une même scène de Haim Louk, connu pour sa voix exceptionnelle et son talent remarquable, et Abderrahim Souiri, un des interprètes les plus connus de la musique arabo-andalouse au Maroc.

Accompagnés par l'Orchestre Larbi Temsamani, et du jeune soliste souiri Hicham Dinar, un des espoirs de la musique andalouse, Louk et Souiri rappellent, s'il y a besoin de rappeler, que sur la terre du Maroc, musulmans et juifs vivent ensemble le plus naturellement possible, ce qui est une utopie sous d'autres cieux.

Ils l'ont fait en interprétant un Matrouz -ou la broderie des langues et musiques entrecroisées-, un genre artistique qui s'inspire de la tradition poétique judéo-arabe, se rattachant au creuset hébraïque, musulman et chrétien de l'Andalousie pluriculturelle et qui se construit à partir d'un procédé de composition basé sur l'entrecroisement de l'hébreu et de l'arabe.

L'heure était également à la reconquête du patrimoine artistique souiri avec un hommage appuyé à l'école souirie de musique andalouse, à travers la présentation d'une pièce musicale ancestrale ressuscitée par des musiciens locaux.

Ainsi, le public a eu le privilège d'admirer une pièce mythique, dont les dernières traces connues remontent au début du 19ème siècle, jusqu'à ce que des jeunes chercheurs et musiciens souiris, sous la houlette d'Abdessamad Amara, le directeur du conservatoire de musique d'Essaouira, ont réussi, après de longs mois de travail, l'exploit de reconstituer et de retranscrire la partition, les paroles et l'orchestration de la pièce musicale jouée devant le Sultan Moulay Abd Er Rahman en 1832, avec la contribution de Maître Abdelghani El Kettani, un des rares maîtres à l'avoir enseignée à Essaouira.

Et pour donner à cet hommage toute sa signification, il a fallu entreprendre un geste symbolique de reconnaissance à Maître Abdelghani El Kettani, une véritable mémoire vivante qui a eu un rôle crucial dans la reconstitution de cette œuvre, ainsi qu'à Abdellah Bradaai, une figure de proue de la musique andalouse à Essaouira.

Essaouira a également était à l'honneur à travers la Caravane du patrimoine judéo-marocain, organisée en marge du Festival des Andalousies atlantiques par l'association Mimouna, qui a choisi de marquer cette étape de la ville des Alizés par une conférence axée sur deux thèmes, à savoir "la coexistence judéo-musulmane, la nécessité et les enjeux de sa mise en récit", animé par Frédéric Abécassis, Maître de conférence en histoire contemporaine, et "Lieux de mixité souiris", présenté par Mina El Mghari, professeur chercheur à l'université de Rabat-Agdal.

Cet événement a également été marqué par une exposition de photos ayant pour thème "Sites historiques du judaïsme marocain" et une exposition virtuelle sur écran tactile, sur les "Sites du patrimoine judéo-marocain".

3 nov. 2014, Ali Refou

Source : MAP

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