Après avoir présenté leurs pistes de réformes économiques, les ténors de l’UMP investissent le thème de l’immigration. Lors de sa tournée dans le Sud-Est, Nicolas Sarkozy a donné le ton en multipliant les propositions pour « maîtriser les flux migratoires ». Le 21 octobre, à Nice, le candidat à la présidence de l’UMP n’y est pas allé par quatre chemins : « L’immigration ne doit pas être un sujet tabou mais un sujet majeur car cela menace notre façon de vivre », a-t-il lancé en affirmant vouloir mettre en place un « nouveau Schengen ». Rebelote à Toulon le lendemain et le 28 octobre, à Marseille.
Ces prises de position visent à répondre aux attentes d’une partie des militants de droite, de plus en plus sensibles aux thèses du Front national. M. Sarkozy est convaincu qu’il doit investir ce terrain pour répondre aux « inquiétudes » des Français, et « reconquérir » ceux qui seraient tentés par le parti de Marine Le Pen. « C’est mon devoir », a-t-il jugé le 26 septembre à Lambersart (Nord). Mais en agissant ainsi, la droite ne risque-t-elle pas de légitimer les thèses du FN et d’amener les électeurs à préférer l’original à la copie ?
A droite toute
L’argument est balayé par le camp Sarkozy. « Le pire serait de ne pas en parler », souligne son conseiller Pierre Giacometti. « La sécurité, la justice et l’immigration ne doivent pas être considérées par nos concitoyens comme des sujets que l’on aurait abandonnés au FN », affirme son fidèle, Brice Hortefeux. Beaucoup, à l’UMP, craignent que le parti frontiste soit en mesure de conquérir les régions Nord-Pas-de-Calais et Provence-Alpes-Côte d'Azur lors du scrutin prévu en décembre 2015.
D’où le retour à un discours à droite toute, comme lors de la campagne de 2012. « La question migratoire, qui occupe une place de plus en plus forte dans l’esprit de nos concitoyens, va être l’enjeu majeur de la campagne présidentielle », estime le député des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, engagé aux côtés de François Fillon pour 2017. Résultat : chaque prétendant à l’Elysée rivalise de fermeté. Quitte à tomber dans la surenchère. Déterminé à ne pas laisser le monopole de la radicalité à Nicolas Sarkozy, François Fillon a prévu un discours sur ce thème le 14 novembre, à Menton (Alpes-Maritimes), point de passage pour les clandestins venus d’Italie.
Le candidat déclaré à la primaire, qui prépare le rendez-vous avec Eric Ciotti et son directeur de campagne, Patrick Stefanini, a prévu de formuler de nouvelles pistes musclées. L’ex-premier ministre devrait notamment proposer de conditionner le versement des prestations sociales à une durée de séjour (un ou deux ans) pour rendre la France moins attractive ; un durcissement des conditions du regroupement familial ; un renforcement de Schengen pour lutter contre l’immigration illégale… M. Fillon se défend toutefois de vouloir uniquement s’aligner sur ses rivaux : « Mon obsession, c’est de faire des propositions fortes, efficaces et opérationnelles. »
Autre candidat à la primaire, Xavier Bertrand a aussi développé son projet en la matière dans un entretien au Figaro, publié le 25 octobre. Le député de l’Aisne, qui se prononce pour un référendum dès 2017 « sur la question de l’immigration comme de la nationalité », campe à son tour sur une ligne dure. Dimanche 2 novembre, sur BFM-TV, il a préconisé un « blocus » au large de la Libye pour endiguer l’immigration clandestine en provenance d’Afrique.
Même tonalité du côté de Bruno Le Maire : « Il faut reprendre le contrôle de nos flux migratoires », répète le candidat à la présidence de l’UMP, qui demande notamment de réduire les délais d’instruction des demandes d’asile.
Dans cette course à l’échalote, gare à celui qui renverrait une impression de mollesse. Alain Juppé a ainsi durci ses positions depuis cet été. Après avoir souligné que l’immigration « est source d’une diversité qui enrichit notre patrimoine culturel, gastronomique, économique », il promet désormais une « politique très ferme » pour « lutter efficacement contre l’immigration clandestine », « encadrer le regroupement familial », et « gérer l’immigration économique ». Toutefois, le maire de Bordeaux veille au choix des mots : quand M. Fillon prône « l’assimilation » – un mot issu de l’histoire coloniale –, M. Juppé défend le concept d’« intégration ». « Ce serait une erreur phénoménale de ne pas parler d’immigration, mais cela ne veut pas dire que l’on doit en faire la pierre angulaire de notre programme », souligne le député Benoist Apparu, qui soutient M. Juppé. Malgré ces nuances sémantiques, des axes de réforme font consensus : renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne, mise en place d’une immigration choisie ou durcissement des conditions du regroupement familial.
Libération de la parole
Ce débat amène les dirigeants de droite sur des sujets préemptés de longue date par le FN. L’exemple de l’aide médicale d’Etat (AME), qui permet aux sans-papiers de se faire soigner gratuitement, en témoigne. En mars 2012, le candidat Sarkozy s’était montré formel : « Je ne souhaite pas qu’on remette en cause cette générosité française. » Un mois plus tard, il avait réaffirmé sa position : « On soigne les gens quelle que soit leur couleur de peau, quelle que soit leur nationalité, qu’ils aient de l’argent ou qu’ils n’en aient pas. C’est notre honneur. » Las. Deux ans et demi plus tard, la remise en cause de l’AME constitue une priorité à ses yeux au motif qu’elle donnerait lieu à un « tourisme médical ». De François Fillon à Alain Juppé, en passant par Bruno Le Maire ou Xavier Bertrand, tous plaident pour le rétablissement d’une franchise, supprimée par le gouvernement socialiste en juillet 2012.
Autre exemple de cette libération de la parole : le débat sur une remise en cause du droit du sol est désormais possible. M. Fillon et M. Bertrand veulent mettre fin à l’acquisition automatique de la nationalité française des enfants nés en France de parents étrangers. Hervé Mariton plaide pour la mise en place d’un droit du sang. « Dans un monde ouvert, le critère d’être présent à un endroit à un moment donné ne justifie pas l’acquisition automatique de la nationalité française à 18 ans », estime-t-il.
Certes, depuis les années 1980, la droite défend un modèle de moins en moins tolérant en matière d’immigration. Mais l’importance accordée à cette thématique est frappante. « La droite en est réduite à reprendre des idées d’extrême droite pour essayer de neutraliser la concurrence du FN, qui est très forte sur le terrain », analyse l’historien Pascal Blanchard. Selon ce spécialiste, cette porosité n’est pas nouvelle : « Dans les années 1930, droite et extrême droite se faisaient concurrence sur la notion de défense de l’identité française. A cette époque, l’ennemi de l’intérieur était communiste. Aujourd’hui, il est musulman. »
4/11/2014, Alexandre Lemarié
Source : Le Monde