lundi 4 novembre 2024 23:36

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Calais, une ville qui vit au rythme des migrants

Deux à trois mille candidats à un passage clandestin en Angleterre sont installés dans la ville et ses environs.

Face à l’augmentation du nombre des migrants, les Calaisiens oscillent entre ras-le-bol et solidarité.

Les uns sont postés sur un talus. D’autres marchent le long de la route. Soudain, tous se mettent à courir. Il est midi et un bouchon vient de se former sur la rocade menant au port de Calais. Des camions destinés à être embarqués sur des car-ferries sont à l’arrêt.

Pour des dizaines de migrants, c’est l’occasion de grimper dans des remorques et de tenter de passer en Angleterre. Malgré le tir de gaz lacrymogènes, les CRS qui jalonnent le secteur ne suffisent pas à les repousser.

VÉRIFIER LES CAMIONS

Des portes arrière des lourds véhicules sont ouvertes et des chauffeurs doivent descendre pour les refermer et vérifier si personne n’a réussi à se faufiler. Des sirènes résonnent. Des gendarmes mobiles et des policiers ont été appelés à la rescousse.

Les camions sont orientés vers une voie de dégagement et un parking sécurisé. En dix minutes, le calme revient. Depuis plusieurs semaines, la scène se reproduit régulièrement, ici comme à l’entrée du tunnel sous la Manche.

« ILS TENTENT LE TOUT POUR LE TOUT »

Les forces de l’ordre sont rodées à l’exercice. « Le dispositif fonctionne bien, constate depuis sa voiture Gilles Debove, délégué local du syndicat SGP-Police-Force ouvrière. Mais j’ai vu des gars sauter de ponts sur le toit des camions. Ce sont des gens qui n’ont plus d’argent pour les passeurs. Ils tentent le tout pour le tout, ils prennent de plus en plus de risques, même en plein jour. Sincèrement, on est désabusé face à cette situation, 80 à 85 % du travail de police-secours consiste à sortir des migrants de camions. Ils sont de plus en plus nombreux. »

Ces derniers mois, le nombre de ces clandestins n’a cessé d’augmenter à Calais et ses environs. Il y en aurait entre 2 000 et 3 000, contre 600 ou 700 au début de l’été. « Il n’y a pas de secret, les flux sont liés aux guerres dans le monde », rappelle Christian Salomé, président de l’Auberge des migrants, une des associations distribuant des repas. Un jeune homme, un de plus, s’approche justement de lui pour demander une couverture. « On n’en a plus », répond-il.

D’autres bénévoles se trouvent obligés de faire les mêmes réponses. « On est tous un peu débordés, constate Marie-Christine Descamps, responsable du vestiaire du Secours catholique. On fait le maximum et on sent très bien non pas une envie d’arrêter, mais une fatigue générale. »Même sans habiter sur place, elle sait bien que cette lassitude gagne aussi le reste de la population, partagée entre ras-le-bol et solidarité. « Cela devient difficilement gérable », reprend-elle.

DANS LES PARCS, DANS LE CENTRE, EN PÉRIPHÉRIE…

Syriens, Afghans, Égyptiens, Erythréens, Irakiens, Somaliens… On les voit errer partout, à la gare, dans les parcs, dans le centre, en périphérie, des hommes, mais aussi des femmes. Le soir, ils dorment dans des squats ou dans le grand campement de toile et de bâche qui s’est développé à côté de l’usine chimique Tioxide. Cet afflux s’est accompagné de plusieurs incidents, dont le plus sérieux, une rixe entre Africains, a duré trois jours, du 20 au 22 octobre. Des vols ont également été signalés.

Ces événements alimentent un sentiment d’insécurité que certains trouvent disproportionné. 

« Oui, tous les migrants ne sont pas des gars bien, mais tous les Calaisiens ne sont pas non plus des gars bien, martèle Jacky Hénin, maire communiste de Calais de 2000 à 2008. Le samedi soir, il y a des bagarres. Ce ne sont pas des migrants. Ce sont des gars bourrés. Ne grossissons pas tout ! La population souffre plus du manque d’emplois que des étrangers. J’entends aussi que les migrants touchent le RSA. Mais ce n’est pas vrai ! Ce sont des arguments fallacieux pour répandre des idées nauséabondes. »

« IL FAUT AUSSI APAISER L’ÉCONOMIE »

L’ex-premier magistrat, toujours conseiller municipal, vise notamment « Sauvons Calais », une organisation proche de l’extrême droite qui a réuni 250 manifestants en septembre. En octobre, à leur tour, des policiers ont défilé à l’appel de SGP-Police-Force ouvrière. Ils étaient accompagnés de chasseurs et d’agriculteurs. 

« On voulait marquer que nous sommes tous victimes de cette situation, surtout pas stigmatiser les migrants, alors que seule une poignée commet des délits, argumente Gilles Debove. Cela dit, on en voit de plus en plus au commissariat. Ça a commencé par de menus larcins et a continué par des vols en groupe. Et même quand il n’y a pas de délit, le fait pour certains commerçants de voir arriver 40 migrants dans leur magasin peut créer un sentiment d’insécurité. »

Pour sécuriser les accès au port et au tunnel, comme pour rassurer la population, cent représentants supplémentaires des forces de l’ordre ont été dépêchés sur place. « Les Calaisiens ont droit à la sérénité, insisteNatacha Bouchart, la sénateure-maire UMP de Calais. Il faut aussi apaiser l’économie. »

 Sa commune de 74 000 habitants est plutôt pauvre et le taux de chômage y est de 16 %. Selon elle, plusieurs entreprises de logistique ont repoussé leur projet d’implantation dans le secteur à cause de la multiplication des intrusions dans les camions.

LES VIOLENTS AFFRONTEMENTS D’OCTOBRE

L’élue locale est montée à plusieurs reprises au créneau pour dénoncer une « situation de crise ». Après avoir reçu la semaine dernière le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, elle s’est félicitée d’avoir été entendue par l’État pour mener une politique « globale », alliant « stratégie européenne » afin de réguler les flux migratoires, « humanité » avec la création prochaine d’une structure d’accueil de jour et « fermeté », avec des évacuations de squats gênant les riverains. « La tension a augmenté d’un cran, insiste-t-elle. Les gens sont excédés. »

Pour mesurer cette exaspération, il suffit d’aller rue Mollien. L’artère a été marquée par les violents affrontements d’octobre. C’est un axe de passage entre le lieu de distribution des repas, la zone portuaire et l’immense terrain vague situé derrière l’usine Tioxide, investi par les migrants. De nombreux migrants y font leur course dans un supermarché qui aurait perdu la plus grande partie de sa clientèle. La direction ne souhaite pas faire de « commentaires ». Mais cet habitué du Cabestan, un bar situé juste en face, ne s’en prive pas : « Moi, je n’y vais plus faire mes courses ».

L’homme affirme avoir attrapé la gale. « C’est à cause d’eux, poursuit-il en montrant des migrants. Ils touchent tout avec leurs mains. » Il assure aussi porter en permanence une « bombe lacrymogène ». Son voisin de comptoir enchaîne, virulent : « tout le monde a peur, plus personne ne sort la nuit. Quand ils étaient 500, ça allait. Maintenant, c’est plus possible. On n’est plus chez nous, cela va mal finir. Les gens n’en peuvent plus. On ne va pas se laisser agresser sans réagir. »

« C’EST DANS LA TÊTE DES GENS »

Laurent Roussel, le patron du Cabestan, essaie de les raisonner. Président d’une association de commerçants, il est conseiller municipal d’opposition, élu sur la liste d’union de la gauche. « Il n’y a pas de danger, c’est dans la tête des gens, explique-t-il. Il y en a qui mettent tout sur le dos des migrants… » Il comprend tout de même l’exaspération de certains. « Pas mal de commerces travaillent maintenant dans des conditions difficiles, des clients se plaignent parce que des migrants passent devant eux à la caisse, raconte-t-il. Une coiffeuse s’est même fait voler de l’argent et du matériel. »

Le cafetier vient de lancer une pétition pour dénoncer la situation, tout en se défendant d’être raciste. Longtemps, il a rechargé les batteries ses téléphones des uns et des autres, avant de renoncer. « J’en avais plus de 200 à charger, justifie-t-il. Cela ne peut pas durer comme ça. Pour les migrants, comme pour nous. » En face du Cabestan, Nathalie n’en continue pas moins à faire ses courses dans les allées du supermarché décrié. « Il ne faut pas croire tout ce que les gens disent, glisse-t-elle. Il y a beaucoup de bruits qui courent. J’ai lu que deux jeunes s’étaient fait agresser. Franchement, j’ai du mal à le croire. Moi, quand je croise des migrants la nuit, je leur dis “hello” , ils ne sont pas méchants. »

« CE SONT DES MALHEUREUX »

En septembre, quatre jeunes Calaisiens ont jeté des cocktails Molotov sur une maisonnette occupée depuis un an et demi par des Égyptiens. Jacques, un retraité de 71 ans, habite à côté. Lui ne se plaint pas de ce voisinage. « Ce qui me choque, c’est leur situation, assure-t-il. Ce sont des malheureux. Je leur donne de l’eau, de temps en temps. J’en ferais plus si je ne craignais pas d’être débordé. J’entends des gens qui se plaignent. Mais ils se plaignent de tout… » Cette vieille dame, croisée sur le trottoir avec son porte-monnaie à la main, ne se sent pas non plus en insécurité :« pourquoi, je devrais ? ».

Bien sûr, pour la poissonnerie du coin, tout cela « ne doit pas aider » la bonne marche des affaires, comme le dit une employée, Béatrice.« L’ambiance a changé, les clients nous demandent si cela ne risque rien le soir », poursuit-elle. Mais elle n’a jamais vu d’agression. Ce jour-là, du hareng a été volé dans le véhicule de livraison. La police a été prévenue.« C’était la première fois », précise André, l’autre vendeur de poissons. Mais il affirme « comprendre » : « ils ont faim ».

« ILS NE RENTRENT QU’UN PAR UN »

Dans la supérette d’à côté, la gérante veut également faire la part des choses. « Cet été, quand le nombre de migrants a augmenté dans la maison squattée, c’était plus tendu, note-t-elle. Mon équipe venait travailler la peur au ventre, j’ai perdu de la clientèle, je voyais les migrants comme une menace. Mais j’ai changé d’opinion. Je leur ai parlé. Maintenant, ils ne rentrent qu’un par un. Ils volent, c’est clair, mais c’est pour manger et quand on le voit, cela se passe bien, ils rendent la marchandise. Des Calaisiens volent aussi. Ils sont parfois éméchés et c’est moins simple. »

La commerçante dit aussi, fataliste : « vous savez, les migrants, cela fait quinze ans qu’on vit avec ». Pendant ce temps, avenue du Commandant-Cousteau, des ouvriers britanniques s’affairent. Perchés sur une nacelle, ils rehaussent les barrières du port avec un système anti-intrusion. Aujourd’hui, comme chaque jour, des candidats au départ en Angleterreessaieront encore de le contourner.

Quinze ans de pression migratoire

1999 : réquisition d’un hangar à Sangatte, commune limitrophe de Calais, pour héberger 200 migrants, surtout des Kosovars, qui campent dans un parc en espérant passer en Angleterre. Géré par la Croix-Rouge, le centre accueillera 1 500 personnes en moyenne par jour.

2002 : fermeture du centre de Sangatte, qui a vu passer plus de 50 000 migrants. Les autorités veulent éviter d’entretenir une filière d’immigration clandestine. Des centaines de migrants s’installent dans des terrains vagues, notamment dans la « jungle », un camp improvisé dans les dunes.

2009 : évacuation de la « jungle ». De nouveaux squats sont organisés dans différents immeubles de Calais. Régulièrement évacués, ils se reconstituent ailleurs.

2014 : évacuation de plus de 600 migrants, principalement installés dans un campement près de la zone de distribution de repas. La Grande-Bretagne s’engage à verser 15 millions d’euros sur les trois prochaines années pour sécuriser le port.

12/11/14 , Pascal Charrier

Source : La Croix

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