"Pourquoi on devrait s'occuper d'eux, c'est de moi dont il faut s'occuper !" Elvio, 51 ans, résume à sa façon le ras-le-bol d'une partie des habitants de la périphérie de Rome, fatigués par des années de crise, et qui aujourd'hui montrent du doigt "ces étrangers qui nous envahissent".
Alors quand une jeune femme du quartier a raconté avoir été victime d'une tentative de viol par des "étrangers" ne parlant pas italien, le quartier de Tor Sapienza dans l'est de Rome s'est enflammé. Trois jours durant, les habitants ont manifesté contre le centre d'accueil de demandeurs d'asile voisin, à coups de pierre, brûlant des poubelles avant de tenter d'y pénêtrer.
La situation devenant critique, les autorités ont préféré évacuer une vingtaine de jeunes, adolescents pour la plupart. Mais les adultes, environ 35 sont toujours là, protégés par des dizaines de policiers et de carabiniers. "Le centre ne fermera pas", a assuré le maire de Rome, Ignazio Marino, venu vendredi soir sur les lieux, aussitôt conspué par une partie du quartier.
Ouvrier du bâtiment licencié il y a cinq mois, Elvio est sans travail, comme beaucoup d'autres habitants de Tor Sapienza. Il a vu son "quartiere" se dégrader après des années de crise économique, même si ce coin reculé de la ville éternelle est encore bien loin de ressembler à une "cité" de la banlieue parisienne ou à un faubourg de Londres.
"Abandonné de Dieu"
Mais le chômage, le sentiment de vivre dans "un quartier abandonné de Dieu" rend chaque jour plus difficile la cohabitation avec les migrants, qui débarquent par centaines chaque semaine sur les côtes italiennes.
Ces Africains, Afghans ou Syriens n'ont pourtant jamais été plus d'une soixantaine dans ce centre d'accueil.
Mais pour Elvio, ils sont bien plus, créent des problèmes et profitent gratuitement du gîte et du couvert.
"On dit qu'ils viennent d'Erythrée, mais la guerre là-bas est finie depuis longtemps !", lance-t-il devant le bar, devenu le lieu de rassemblement du quartier à deux pas du centre d'accueil.
"Ils traînent en groupe dans le parc voisin, font du bruit, laissent des bouteilles de bière vides derrière eux, et il y a eu des vols", assure-t-il.
Ces migrants, que l'AFP n'a pas pu interroger, ont rendu publique une lettre dans laquelle ils disent leur tristesse et leur incompréhension.
"Nous avons entendu beaucoup de choses mauvaises dites contre nous, que nous violons les femmes, que nous sommes des sauvages", ont-ils écrit.
"Ces mots sont très douloureux. Nous ne sommes pas venus en Italie pour créer des problèmes, et encore moins pour nous battre avec des Italiens. Nous sommes reconnaissants de ce qu'ils ont fait pour nous, d'avoir été sauvés en pleine mer par les autorités italiennes. Nous sommes ici pour bâtir une nouvelle vie", ont-ils encore expliqué.
Peut-être, "mais est-ce que nous pouvons vraiment les aider ?", interroge Tiziana Teti, 40 ans en montrant les barres de béton, qui bordent la rue.
"Est-ce que je suis raciste quand je dis d'abord les Italiens ?", demande-t-elle en expliquant qu'à l'école de sa fille, elle doit tout payer, y compris le papier toilette, tout en jurant que les Etrangers n'ont rien à payer.
Salvatore qui tient la pharmacie juste à côté du centre d'accueil des migrants, n'est pas de cet avis. Pour lui, tout ça n'est qu'un "prétexte" surtout utile à certains hommes politiques.
La Ligue du Nord, parti anti-immigrés et europhobe, a envoyé sur place vendredi un de ses dirigeants pour tenter de récupérer à son profit cette colère.
"Nous avons été utilisés comme boucs émissaires des problèmes d'un quartier en train de se dégrader", renchérit Alessia Armini, coordinatrice du Service des demandeurs d'asile et des réfugiés auprès du centre d'accueil de Tor Sapienza.
Présente constamment au moment des incidents, elle raconte la peur des migrants, obligés de se barricader. "Ca a été très effrayant, surtout pour ces jeunes ayant déjà vécu des situations de tension dans leurs pays. Il y a eu de vrais moments de panique", a-t-elle raconté à l'AFP.
16 nov. 2014, Olivier BAUBE
Source : AFP