dimanche 24 novembre 2024 11:57

François Fillon vs. Élisabeth Lévy sur BFM-TV : un odieux procès fait aux musulmans

Le débat sur l'immigration organisé entre Élisabeth Lévy et François Fillon s'est transformé en procès en identité nationale des musulmans de France, déplore notre chroniqueur Bruno Roger-Petit. Un débat droite/extrême droite auquel la gauche n'était pas conviée. Signe des temps...

On ne met plus en scène dans un film les repliés et apeurés, au bout du compte victimes d'eux-mêmes, pour en montrer tout à la fois le tragique et le pathétique, on les invite à la télévision pour en débattre.

Comment mater les immigrés, donc les arabes, donc les musulmans qui font si peur ? 

Un débat entre gens de droite et d'extrême droite

 En quarante ans, les vecteurs du discours xénophobe ont changé d'apparence. Ils ne sont plus patron et patronne de bistrot, ils ne sont plus incarnés par Carmet, Tornade, Lanoux ou Ginette Garcin, ils sont aussi, entre autres, ancien Premier ministre et polémiste anti-politiquement correct.

 Le beauf porteur de xénophobie filmé par Yves Boisset s'est embourgeoisé. On l'invite à la télévision, pour parler des autres, des étrangers, de ceux qui sont souvent Français, oui, mais pas des Français comme les autres. Les immigrés. Les Arabes. Les musulmans. Les body snatchers de l'islam.

 Adepte de fait de la théorie du grand remplacement, Élisabeth Lévy avait accepté d'assurer le très petit remplacement d'Éric Zemmour dans l'émission politique de BFM-TV présentée par Apolline de Malherbe, qui fut, comme il était prévisible, débordée par le tsunami Lévy.

 Débat intéressant à suivre, pour ce qu'il dit, en son principe, du degré de tolérance à l'égard d'idées que l'on aurait jamais autorisées d'exposer avec complaisance dans la télévision dans les années 1980.

 En 2014, à la télévision, on estime désormais logique, normal et naturel d'organiser un débat entre gens de droite et d'extrême droite, hostiles à l'immigration, porteuse de tous les maux à leurs yeux, qui jugent qu'il faut stopper les flux migratoires et dissertent sur le degré de francité qu'il faut imposer à certains de leur compatriotes, dont la culture leur déplaît, au nom d'une identité nationale dont ils détiennent la seule vérité. 

 C'est à ce genre de nouveautés que l'on mesure que la gauche a perdu son Gramsci en route, et la bataille des idées avec.

 Elle a fait plier Fillon en 4 temps

 Débat instructif, aussi, parce qu'il a permis de constater la même logique que celle qui a conduit Nicolas Sarkozy à annoncer qu'il faut abroger la loi instaurant le mariage entre personnes de même sexe.

 Sur tous les sujets de société, les dirigeants de la droite dite "républicaine" se laissent prendre en otage par une base politique bénéficiant d'une représentation médiatique disproportionnée, donc dé-réalisante.

Cyniques, il subissent, acceptent et amplifient, en la relayant, cette convergence des réactionnaires de tous poils qui finissent par s'agglomérer et se constituent, au fil du temps, en "Tea party" à la française.

 Pour faire plier Fillon et l'amener sur sa ligne, Élisabeth Lévy s'y est prise en quatre temps.

 1. L'immigration, c'est par nature dangereux

 "L'immigration n'est pas seulement une chance, n'est pas seulement un enrichissement, la coexistence n'est pas en soit un jardin de roses", décrète d'entrée la polémiste reprenant le cas, évoqué par Fillon auparavant, de "trois retraitées de Sarcelles qui ne se sentent plus chez elles, et elles ont une terreur de l'école du coin, qui leur pourrit l'existence".

 Force de la télévision, média du sentiment, les trois retraitées de Sarcelles deviennent l'exemple emblématique des maux français causés par l'immigration. Trois retraitées, et voilà 100% de la France qui a peur. Plus fort que Roger Gicquel en 1976.

 Et comme Lévy sait tout, voit tout, elle connait déjà les coupables, qui sont ces "enfants de gens qui sont arrivés il y a trente ou quarante ans et qui juridiquement sont Français. Il y a un problème d'intégration, il ne suffit pas d'un passeport".

 Fillon reprend le couplet, dit qu'on a laissé le communautarisme s'installer, "au lieu de travailler à une intégration", et que tout cela a abouti, "à ce qu'à un moment donné, il y a une communauté plus nombreuse que les autres, qui donne le sentiment d'imposer sa loi".

 2. L'immigration fabrique des Français qui sont de faux Français

 Forte de son premier succès, Lévy enchaîne. Non seulement l'immigration c'est dangereux, mais en plus ces immigrés deviennent Français alors qu'ils ne le méritent pas. Et elle s'empresse, entre confusion et fébrilité, de délivrer le message :

 "Il y a un problème avec lequel qui est comment on fabrique des Français." (en Lévy dans le texte)

 Et, en vrac, Lévy poursuit, de manière confuse et agitée :

 "On a publié dans le dernier numéro de 'Causeur' une interview de Maxime Tandonnet qui était conseiller à l'immigration de Nicolas Sarkozy (...), il parle de l'impuissance, tout simplement, de l’État (...). En réalité, Schengen n'existe plus... C'est un serpent de mer, les quotas, l'immigration que l'on choisit (...). Vous et Sarkozy ne l'avez pas fait (...). Vous parlez de la justice européenne, je me demande si le Conseil constitutionnel et le conseil d’État ne sont pas aussi des empêchements."

 Fillon est d'abord un peu gêné : "Vous ne pouvez pas supprimer la justice européenne, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État". Mais sur le fond, il fait sienne l'argumentation de Lévy, les méchants juges européens multiculturalistes sont des ennemis de l'identité nationale :

 "On a des blocages juridiques, constitutionnels (...). On a une difficulté avec la Cour européenne des droits de l'homme (...) On a un problème avec les juges qui s'appuient sur la convention européenne des droits de l'homme pour prendre des décisions qui sont des décisions contraires à l'intérêt national. Ils veulent par exemple imposer des syndicats dans les armées (...), la gestation pour autrui (...), l'impossibilité de mettre en place des quotas à cause de l'immigration familiale (...). Je propose de lutter avec les autres pays contre le gouvernement des juges européens. Si on ne peut pas, je propose que l'on se retire de la Convention européenne et qu'on y ré-adhère avec des réserves."

 3.  L'UMP dit la même chose que le FN

 Et Lévy, continue, portée par les capitulations de Fillon : "Qu'est-ce qui vous distingue des solutions préconisées par le FN (...) ?", en précisant bien que ce n'est pas une injure dans sa question ?" Fillon, encore gêné : "Je ne me prononce pas par rapport au Front national".

 Mais Lévy persiste, on a fabriqué de mauvais Français parce que le gouvernement Fillon, sous Sarkozy, s'est montré timide :

 "Vous n'avez jamais mis en place cette loi qui était supposée demander dans le cas du regroupement familial, comme l'on fait les Allemands d'ailleurs, pour que les gens soient obligés d'apprendre le français..."

 Le propos est à peine compréhensible, mais permet de noter le cocasse de la situation : Élisabeth Lévy demande que les futurs naturalisés maîtrisent le français alors qu'elle même éprouve quelques difficultés à exprimer une pensée clairement compréhensible.

 À ce moment là, Apolline de Malherbe se réveille, et interpelle Fillon : "Un certain nombre de vos propositions sont les les mêmes que celle du FN, ça ne vous dérange pas ?" Mais Elisabeth Lévy vient au secours de Fillon : "Moi, je ne le disais pas comme une insulte !" 

 Fillon sauvé, la polémiste de "Causeur" enchaîne sur le couplet "On ne peut parler des immigrés et des maux qu'ils causent, c'est la faute aux médias". Cela donne :

 "Je me demande si les médias n'exercent pas un effet d'intimidation sur les politiques. Il y a une musique qui fait que il y a certains thèmes, vous êtes immédiatement traité de réac..."

 Habile transition qui la mène au temps suivant.

 4. Le danger, ce sont les musulmans, des Français pas comme les autres

 Et Lévy, encore :

 "Les gens, les Français, voient quand même pour une partie d'entre eux les problèmes, qui sont liés, qui sont posés par des Français (...). Donner la nationalité automatiquement, ne me semble pas... Pour les gens qui sont Français... C'est ce que dit Zemmour, c'est l'adoption subreptice, sans qu'on l'ait demandé aux Français, du modèle américain, hollandais, du modèle multiculturaliste (...) L'égalité qui se traduit par l'égalité de toutes les cultures (...) Ça suffit pas Liberté Égalité, Fraternité, sinon on a 6 millions de Français potentiels !"

 Et Lévy d'interpeller Fillon sur l'invasion qu'elle dénonce : "Qu'est-ce qui faut laisser à la porte en France ? Qu'est ce qu'on demande aux nouveaux arrivants ? Qui s'adapte à qui ? Et là, c'est la question de l'islam..." L'islam et les musulmans, nous y voilà enfin ! L'obsession Lévy au pinacle.

À cela, Fillon répond (après un contresens historique sur 1793 et la religion catholique, mais passons) comme s'il s'agissait d'un message codé, comme s'il fallait suggérer, mais ne pas formaliser :

 "Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas exiger la même chose de l'islam... Il y a des lignes rouges... La ligne rouge, c'est l'égalité homme femme... Vous voyez ce que je veux dire..."

 Et Lévy de répondre, l'air complice, la mine réjouie de celle qui a mené Fillon par le bout du nez depuis le début de l'entretien : "Oui, je vois..." Et nous, téléspectateurs, de contempler le naufrage républicain Fillon. Et de saluer la force d'Élisabeth Lévy, qui, en vingt minutes, dévisse le socle 1789, le foule aux pieds, et transforme la République en objet identitaire culturel oppresseur.

 Un apartheid identitaire soft dans la France de 2014

 À ce moment du débat, Lévy jette le masque, niant ou ignorant que "Liberté, Égalité, Fraternité", c'est la devise d'une République qui n'offre que des droits, égaux pour tous, des droits déconnectés de toute origines, identités, valeurs, religions et cultures. Et c'est bien cette conception qui permet d'écrire que :

 "Les droits de l'homme ne forment pas une politique, ils doivent réguler une politique, ils constituent une limite, une vigilance, un cran d'arrêt. Et s'ils le peuvent, c'est précisément parce qu'ils sont abstraits, vides d'une certaine façon, qu'ils ne définissent aucun homme en particulier, que l'homme des droits de l'homme n'existe pas."

 L'homme des droits de l'homme a le droit d'être immigré, fils d'immigré, petit-fils d'immigré, musulman et Français. Mais cela, Élisabeth Lévy lui refuse. Par principe, celui-là doit être jaugé, jugé, assigné à résidence identitaire, et rejeté s'il déplaît. Élisabeth Lévy n'était pas venu débattre, elle était venue nourrir son procès culturel contre les musulmans.

 Au bout du compte, l'échange Fillon/Lévy s'est achevé, comme il était prévu et prévisible, la polémiste posant la question qui valait accusation, rejet, mépris pour des millions de Français : "Comment vous faites pour acculturer l'islam ?"

Le débat sur l'immigration n'était pour elle qu'un alibi, le prétexte pour plaider en faveur d'un apartheid identitaire soft dans la France de 2014. Et comment faire, aussi, pour acculturer Élisabeth Lévy et ses semblables à la République ?

 17-11-2014, Bruno Roger-Petit

Source : nouvelobs.com

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