En Italie, les arrivées massives de migrants ont provoqué un boom des structures d'accueil et des subventions dont tentent de profiter hôtels de luxe et réseaux mafieux.
A l'hôtel de la Villa Mokarta à Salemi, dans l'ouest de la Sicile, la piscine a été vidée et les canapés et écrans plats des suites ont cédé la place à un alignement de lits pouvant loger jusqu'à huit demandeurs d'asile par chambre, chacun avec ses maigres possessions, un vieux sac à dos, éventuellement une Bible ou un Coran...
"Les réservations touristiques étaient tombées bien plus bas que 50%, alors nous avons décidé d'essayer plutôt l'hébergement de migrants", explique Salvatore Cascia, gérant de l'établissement qui accueille depuis février quelque 140 demandeurs d'asile venus d'Afrique de l'Ouest et du Bangladesh.
Le gouvernement verse 30 euros (37,5 dollars) par jour et par migrant. A charge pour l'établissement de fournir 2,5 euros d'argent de poche, vêtements, logement et nourriture ainsi que des services spécifiques comme des cours d'italien, des soins psychologiques et une assistance légale.
Avec l'explosion des arrivées et des demandes d'asile (25.401 déposées au premier semestre 2014, presque autant que pour toute l'année 2013), des centaines de structures ont vu le jour à travers le pays.
Selon le ministère de l'Intérieur, elles accueillaient au 31 octobre quelque 32.335 demandeurs d'asile. A 30 euros par personne, il s'agit d'un business de près d'un million d'euro par jour.
"Ici on mange, on fait un peu de sport et on se libère l'esprit", explique à l'AFP Ebou Cham, un Gambien de 21 ans arrivé en janvier après trois mois d'une terrible épopée entre désert et mer, dans la petite salle de sport de la Villa Mokarta, qui propose aussi baby-foot, télévision par satellite, wifi gratuit et un jardin potager cultivé par les migrants.
Dans cette région de Sicile, la Villa Mokarta n'est que l'une des 32 structures -- hôtels en bord de mer ou dans l'arrière-pays, résidences de vacances, anciennes écoles ou maisons de retraite -- qui se sont transformées en centres d'hébergement depuis un an.
Selon M. Cascia, cela apporte "l'oxygène" qui manquait à l'économie locale, plongée dans une profonde récession. Mais ces structures s'ouvrent souvent dans les zones défavorisées, où la présence des migrants cristallise la colère.
La semaine dernière, des riverains réclamant que les aides publiques se concentrent sur les Italiens ont ainsi attaqué un centre dans l'est de Rome, obligeant les autorités à évacuer les mineurs.
'L'argent coule à flot'
Et des organisations comme Caritas ont aussi prévenu que dans les terres pauvres où la mafia règne, une grande partie des fonds risque d'être accaparés par le crime organisé.
"L'argent coule à flot, des millions d'euros, remis sans faire d'appel d'offres ni vérifier que les structures sont certifiées antimafia", dénonce ainsi Mario Michele Giarrusso, sénateur sicilien du Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo. "C'est un immense scandale".
Des enquêtes de police ont révélé que certains centres entassaient les migrants dans la saleté en les nourrissant à peine. Et sans arriver à ces extrêmes, beaucoup de centres ont été montés avec des fonds mafieux et fonctionnent avec des fournisseurs "amis", assure-t-il.
Pour Don Sergio, chef de Caritas à Palerme, le pire n'est pas que "beaucoup cherchent à se faire de l'argent sur le dos de ces pauvres diables", mais que certains rognent sur les services comme le soutien psychologique, essentiel à qui vient de fuir la guerre et les persécutions.
"Ce sont des gens qui ont été exploités, violés -- et ne je parle pas que des femmes. Ils ont dû venir jusqu'en Italie en quête d'un meilleur avenir, mais si on ne les aide pas, l'inquiétude gagne et cela peut mener à des violences", explique-t-il.
De plus, la lenteur du traitement des demandes oblige les migrants à s'installer dans ce provisoire.
"Cela fait neuf mois que je suis ici et c'est épuisant. Manger, dormir, manger, dormir. J'ai une dette envers les Italiens, ils m'ont secouru en mer. Je veux travailler et apporter ma contribution", explique Lamin Colley, un autre Gambien de 22 ans hébergé à la Villa Mokarta.
Selon le sénateur Giarrusso, il ne s'agit pas que d'un engorgement administratif, mais aussi de la présence des réseaux mafieux derrière ces structures qui poussent comme des champignons.
"Ils ont intérêt à en ouvrir beaucoup et à y maintenir les migrants. Plus ils les gardent longtemps, plus ils gagnent d'argent", explique-t-il. "C'est un business. Ces migrants bravent la mort en Méditerranée juste pour rapporter des millions d'euros à la mafia".
19 nov 2014,Ella IDE
Source : AFP