jeudi 4 juillet 2024 14:17

picto infoCette revue de presse ne prétend pas à l'exhaustivité et ne reflète que des commentaires ou analyses parus dans la presse marocaine, internationale et autres publications, qui n'engagent en rien le CCME.

Üdvözöljük ! La langue hongroise, épreuve ultime pour les migrants à Budapest

Theophilus, un réfugié nigérian de 17 ans, a bravé mille dangers pour trouver asile en Europe. Mais il ne s'attendait pas, arrivé en Hongrie, à affronter une épreuve ultime : l'apprentissage d'une des langues les plus difficiles au monde.

"Apprendre le hongrois est certainement une des choses les plus compliquées auxquelles j'ai été confronté", explique cet élève de l'école Than Karoly de Budapest, spécialisée dans l'accueil de jeunes migrants.

"Regardez le mot ordinateur : +számítógép+. Je ne pense pas que je serai un jour capable de le prononcer correctement !", s'esclaffe l'adolescent, arrivé en Hongrie il y a six mois.

Fuyant un conflit ethnique dans son pays, Theophilus raconte avoir passé cinq jours en mer sur une embarcation de fortune, puis avoir traversé plusieurs pays à pied, de nuit, jusqu'à atteindre la Hongrie, porte de l'Union européenne.

Mais le jeune homme, qui parle un anglais très correct, n'avait pas imaginé devoir dépenser autant d'énergie pour apprendre une nouvelle langue.

Avec son alphabet de 42 lettres dont 14 voyelles, ses 12 temps, ses 35 terminaisons verbales, ses mots interminables et son vocabulaire sans aucune parenté avec les langues indo-européennes, le hongrois constitue depuis toujours un objet de délectation pour les linguistes.

Et un sacré casse-tête pour ceux qui s'efforcent d'apprendre des mots aussi élémentaires que "üdvözöljük!" ("bienvenue!"), "köszönöm" ("merci") et "egészségedre!" ("santé!").

 Gageure

Le défi de l'enseigner est encore plus corsé quand les élèves ne parlent pas d'autre langue que celle de leur pays. Le cas le plus fréquent à Than Karoly, établissement accueillant quelque 80 élèves de 14 à 18 ans, le plus souvent des jeunes migrants non accompagnés hébergés dans un foyer. Ils maîtrisent généralement mieux le pachtoun, le dari ou le somali que l'anglais.

"Pour enseigner le mot +kiábal+ (crier), je dois crier", explique l'enseignante Piroska Gornagy. "Je dois beaucoup mimer et m'agiter pour faire comprendre les choses", résume la jeune femme, qui exerce son métier par passion.

Créées en 2008, les classes spécialisées de l'école sont destinées à faciliter l'intégration des jeunes migrants, dont le nombre ne cesse de croître en Hongrie comme dans la plupart des autres pays européens.
Mais elles restent une exception en Hongrie, régulièrement pointé du doigt pour ses déficiences dans l'accueil des demandeurs d'asile, et qui a accueilli quelque 20.000 nouveaux arrivants l'an passé, principalement d'Afghanistan, de Syrie et de Somalie.

"Il y a très peu de places dans les écoles" hongroises pour les jeunes migrants, reconnaît Ildiko Hublik, qui a créé la filière de Than Karoly en 2008. "La plupart d'entre elles refusent d'accueillir les jeunes réfugiés de peur de froisser les parents d'élèves".

Reste que même pour les plus brillants de l'établissement, l'acquisition d'un niveau de hongrois suffisant pour pouvoir suivre ensuite un cursus normal relève de la gageure.

 Dictionnaire somali-hongrois

"Même pour les meilleurs élèves, apprendre les maths, l'histoire ou quoi que ce soit en hongrois, c'est très difficile", reconnaît l'enseignant.

Than Karoly peut toutefois s'enorgueillir de l'exploit d'un de ses anciens élèves, originaire de Somalie, qui s'est si bien approprié la langue qu'il a écrit un dictionnaire somali-hongrois de 2.500 entrées, particulièrement précieux aujourd'hui encore pour les nouveaux arrivants.

L'école, qui prodigue 18 heures de hongrois par semaine ainsi que des cours d'anglais et d'informatique, aide aussi les enfants à remplir les formalités administratives et, dans la mesure de possible, à faire face à leurs éventuelles séquelles médicales et psychologiques.

Mais malgré leurs efforts, les jeunes migrants restent régulièrement l'objet d'insultes et de tracasseries dans la rue, se désole Mme Gornagy.

Et beaucoup d'élèves ne restent qu'un temps limité dans le pays, avant, quand c'est possible, de rejoindre de la famille sous des cieux plus cléments, généralement en Europe occidentale. Sans plus jamais utiliser le hongrois auquel ils auront consacré tant d'efforts.

Mais certains, comme Ahmadshah, un Afghan de 17 ans, se sentent suffisamment à l'aise pour envisager faire leur vie dans le pays. "La Hongrie s'est montrée bonne pour nous. C'est notre chez-nous maintenant, pourquoi en partir ?", s'interroge-t-il en hongrois.

20 nov. 2014,Peter MURPHY

Source : AFP

Google+ Google+