jeudi 4 juillet 2024 14:17

picto infoCette revue de presse ne prétend pas à l'exhaustivité et ne reflète que des commentaires ou analyses parus dans la presse marocaine, internationale et autres publications, qui n'engagent en rien le CCME.

Rome : la guerre aux immigrés fait les beaux jours de l'extrême droite

L'extrême droite manipule les habitants des banlieues romaines pour attiser les violences racistes. Grande gagnante de ce climat délétère : la Ligue du Nord.

Il porte un survêtement de l'équipe de foot du Brésil, arbore un gros pansement sur le front et marche avec difficulté en raison de plusieurs côtes cassées : c'est dans un bar discret et distant du centre d'accueil pour immigrés du quartier de Tor Sapienza où il réside que José Monga-Pota a accepté de témoigner. Car ce Congolais de 52 ans, arrivé à Rome il y a deux mois parce qu'il était menacé par le régime de son pays, a désormais peur pour sa vie. "Le 12 novembre vers 19 heures, je me rendais au supermarché quand un groupe d'une dizaine d'hommes m'a barré le chemin sur le trottoir, raconte-t-il. J'ai voulu les éviter, mais un autre groupe arrivant d'une autre direction m'a coincé. Ils se sont jetés sur moi en m'insultant en italien (langue qu'il ignore, NDLR). Pendant plusieurs minutes, ils m'ont roué de coups de poing et de coups de pied. J'ai cru mourir."

José Monga-Pota n'est pas la seule victime du racisme qui dévaste les banlieues romaines depuis une dizaine de jours. Un adolescent du Bangladesh a subi le même sort que lui et dans plusieurs quartiers de la capitale des comités anti-immigrés se sont formés.

C'est une tentative de viol contre une habitante de Tor Sapienza, à la périphérie est de Rome, qui a mis le feu aux poudres. La victime, une femme de 28 ans qui n'a pas porté plainte et se promenait avec son pitbull, a décrit des agresseurs "de type européen, albanais ou roumains".

"Les dealers au moins, ils sont italiens"

Mardi 11 novembre, la nouvelle se propage dans les barres de HLM de la rue Giorgio Morandi. Des hommes se rassemblent alors devant le centre "Un sourire" géré par une ONG et où résident 36 immigrés qui ont présenté une demande d'asile à l'Italie. Pour la plupart, il s'agit d'adolescents, libyens, érythréens ou égyptiens et ils ne correspondent pas à la description des agresseurs par la victime. Mais l'assaut est lancé contre le centre. Jets de pierres, cocktails Molotov : la bataille dure plusieurs heures. Treize des policiers arrivés sur place pour défendre le centre d'accueil sont blessés, pour la plupart par des jets d'objets lancés des fenêtres par les riverains solidaires des assaillants.

Une semaine plus tard et alors que le quartier est quadrillé par les forces de l'ordre, quatre retraités tiennent une sorte de permanence devant le centre "Un sourire". "On n'en peut plus de tous ces immigrés, affirme Alberto. Il y a un camp de Roms à 500 mètres d'ici. Derrière nous, un prêtre loge 40 Roumains dans des caves. Cambriolages, agressions, viols, prostitution dans les couloirs des immeubles : le sol est couvert de préservatifs. Les jeunes du centre, à qui l'État donne 40 euros par jour, se baladent à poil, crachent et jettent n'importe quoi par les fenêtres. Les dealers au moins, ils sont italiens et ils nous foutent la paix." "Les Roumains ne sont pas 40 mais 300", surenchéri un autre acteur de ce Muppet Show sinistre. Renseignements pris, ils sont 20.

"Une lointaine colonie oubliée"

"Avant, c'était un quartier coquet, se désole Franco, un autre habitant du quartier. Aujourd'hui, les immeubles tombent en morceaux et il y a de l'amiante partout. Les éclairages publics sont cassés, les transports en commun inexistants, les rues défoncées. Tous les commerces ont fermé. Les travestis et les prostituées font des passes dans les buissons. Nous sommes comme dans une lointaine colonie oubliée par l'État italien..."

Une guerre des pauvres contre les pauvres qui n'a rien de spontané. "Les 36 adolescents ou jeunes adultes du centre Un sourire sont étrangers à la tentative de viol. Très encadrés, ils ne peuvent pas avoir commis tout ce dont on les accuse, explique Renata Sciatti, membre de l'ONG Sant'Egidio très présente dans les quartiers. Les assaillants les ont pris pour cible parce qu'ils sont le maillon le plus faible de l'immigration. Mais les premiers agresseurs n'étaient pas du quartier et ils sont arrivés casqués et masqués. Ils ont manipulé les habitants qui sont désespérés et les ont suivis."

À qui profite le crime ?

Une version confirmée par l'enquête. Petits délinquants italiens qui dealent dans la zone, hooligans liés à l'extrême droite et membres du mouvement Casapound sont aujourd'hui soupçonnés d'avoir fomenté une révolte anti-immigrés destinée à s'entendre à toute la ville. Ainsi, le quartier de l'Infernetto s'est insurgé contre l'arrivée de 16 des adolescents du centre "Un sourire". La municipalité a été contrainte de faire marche arrière et les a reconduits, sous escorte policière, à Tor Sapienza. Et une dizaine de quartiers sont sur le pied de guerre pour lutter contre "l'invasion des immigrés".

Si Casapound exploite là son traditionnel fonds de commerce raciste, le thème de l'insécurité liée à l'immigration fait également les beaux jours... de la Ligue du Nord. Le mouvement créé par Umberto Bossi a en effet abandonné son credo séparatiste pour se rallier au drapeau de Marine Le Pen dont il est l'allié au parlement européen. Avec comme programme "non à l'Europe et lutte contre l'immigration", la ligue a doublé ses intentions de vote en 6 mois. Son nouveau leader, Matteo Salvini, recueille aujourd'hui 21 % d'opinion favorable. Il n'est devancé que par Matteo Renzi et la Ligue aspire, non sans fondement, à devenir le second parti politique italien.

Rien n'indique concrètement qu'il est à l'origine des incidents de Tor Sapienza. Mais à la question "à qui profite le crime ?" la réponse, unanime, est "à la Ligue du Nord".

21/11/2014, Dominique Dunglas

Source : lepoint.fr

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