dimanche 24 novembre 2024 09:33

Pays du Golfe : Il faut améliorer la protection des travailleurs migrants

Qu'il s'agisse de l'ampleur des abus commis contre les travailleuses domestiques à l'abri des regards du public ou du taux de mortalité choquant parmi les travailleurs du bâtiment, la situation désespérée des migrants dans le Golfe exige le lancement d'urgence d'une réforme en profondeur. Une telle réforme devrait inclure une révision complète du système abusif de parrainage des visas appelé kafala. Rothna Begum, chercheuse sur le Moyen-Orient auprès de la division Droits des femmes.

(Koweït) – Les ministres du Travail des pays du Golfe et d'Asie, qui se réunissent les 26 et 27 novembre 2014, devraient améliorer les protections offertes par leur code du travail, réformer leurs politiques abusives en matière d'immigration et renforcer leur dialogue avec les syndicats et les organisations non gouvernementales, ont déclaré aujourd'hui 90 organisations de défense des droits humains et syndicats.

Des millions de travailleurs contractuels en provenance d'Asie et d'Afrique, y compris environ 2,4 millions de travailleuses domestiques dans les pays du Golfe, sont soumis à toutes sortes d'abus, notamment au non-paiement de leurs salaires, à la confiscation de leurs passeports, à des sévices physiques et au travail forcé.

« Qu'il s'agisse de l'ampleur des abus commis contre les travailleuses domestiques à l'abri des regards du public ou du taux de mortalité choquant parmi les travailleurs du bâtiment, la situation désespérée des migrants dans le Golfe exige le lancement d'urgence d'une réforme en profondeur », a déclaré Rothna Begum, chercheuse sur le Moyen-Orient auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Une telle réforme devrait inclure une révision complète du système abusif de parrainage des visas appelé kafala. »

Les ministres se réuniront à l'occasion de la troisième session du Dialogue d'Abou Dabi, un forum inter-régional sur les migrations de main d'œuvre entre les pays asiatiques d'origine et les États de destination, membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Les organisations non gouvernementales ont participé aux deux premières sessions, mais elles n'ont pas été invitées à la réunion de cette année. Les ministres du Travail des États du CCG doivent se rencontrer séparément les 23 et 24 novembre pour discuter d'un projet de contrat type destiné aux travailleuses domestiques et d'une proposition de création d'un organe commun à tous les États du groupe, chargé de contrôler l'organisation du travail domestique des migrantes.

Le système du kafala, utilisé de manière variable à travers la région du Golfe, empêche la plupart de ces travailleuses de changer d'emploi avant l'expiration de leur contrat sans l'autorisation de leur employeur, ce qui place beaucoup d'entre elles dans une situation sans issue dans laquelle elles subissent des mauvais traitements. De nombreux travailleurs migrants sont placés sous une énorme pression financière, non seulement pour soutenir leurs familles restées au pays mais aussi pour rembourser de lourdes dettes contractées lors de leur recrutement. Opérant aussi bien dans les pays d'origine des migrants que dans les pays de destination dans la région du Golfe, des agences de recrutement insuffisamment supervisées extorquent souvent des commissions excessives aux travailleurs migrants, les trompent sur leurs futures conditions de travail ou s'abstiennent de leur venir en aide s'ils subissent des exactions sur leur lieu de travail.

En Arabie saoudite et au Qatar, les travailleurs migrants ne peuvent pas quitter le pays sans que leur employeur n'ait donné son consentement à la délivrance d'un « permis de sortie » par les autorités. Certains employeurs ont refusé de verser les salaires, de rendre les passeports ou de donner leur assentiment à un « permis de sortie », afin de contraindre les travailleurs à continuer à travailler contre leur volonté.

Une analyse publiée en novembre par la Confédération syndicale internationale (CSI) et intitulée « Comment l'exploitation est facilitée », mettait en relief le fait que des lacunes existant dans les codes du travail nationaux des pays du CCG avaient pour effet d'exclure, partiellement ou entièrement, de leurs protections les travailleurs domestiques.

Un rapport de Human Rights Watch publié en octobre dernier et intitulé « I Already Bought You » (« Je vous ai achetée ») et un rapport d'Amnesty International publié en avril et intitulé “My Sleep is My Break” (« Ma seule pause, c'est mon sommeil »), ont mis en lumière des tendances similaires aux pratiques abusives à l'encontre des travailleurs domestiques dans les Émirats arabes unis et au Qatar respectivement, parmi lesquelles la rétention de salaires, le refus d'accorder des périodes de repos, des charges de travail excessives, des privations de nourriture et l'enfermement sur les lieux de travail. Dans plusieurs cas, des travailleuses domestiques ont dénoncé des sévices physiques ou sexuels et affirmé avoir été placées dans des situations de travail forcé, y compris de trafic de personnes.
« Les propositions avancées par les pays du CCG restent bien en-deçà des changements qui sont nécessaires pour protéger les droits, la sécurité et la dignité des travailleuses domestiques », a déclaré Elizabeth Tang, secrétaire générale de la Fédération internationale des travailleurs domestiques (FITD). « Les pays du CCG devraient rejoindre le nombre croissant de pays dans le monde qui étendent aux travailleurs et travailleuses domestiques la totalité des protections offertes par leur code du travail, y compris un salaire minimum, une journée de repos hebdomadaire, le droit de se syndiquer et des prestations sociales. »

Le CCG a discuté de la possibilité d'adopter un contrat type d'emploi destiné aux travailleuses domestiques qui serait reconnu dans tous les pays membres. Selon des informations parues récemment dans les médias, le CCG envisage également la création d'un organe qui serait chargé de coordonner les politiques en matière d'embauche des travailleuses domestiques et qui réunirait des représentants des agences de recrutement et du gouvernement. Ces démarches ont manqué de transparence et la réflexion a souffert de l'insuffisance des consultations avec des représentants des travailleuses domestiques, des syndicats et des organisations de défense des droits des migrants. Les pays d'origine des migrants envisagent également l'établissement de leur propre contrat type, dans le cadre d'un processus distinct.

« Les contrats types ne doivent pas se substituer à une réforme du code du travail et, par eux-mêmes, ils ne sont pas conformes aux normes de la Convention de l'OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques », a déclaré Sharan Burrow, secrétaire générale de la CSI. « Au lieu d'agir séparément, le CCG devrait mieux se coordonner avec les pays d'origine afin d'élaborer des politiques en matière de migration du travail qui respectent pleinement les droits humains et le droit au travail des migrants. »

Les migrants dans les pays du Golfe fournissent une importante contribution aux économies de leur propre pays et des pays où ils sont employés. En 2011, les travailleurs migrants employés dans les pays du CCG ont effectué vers leurs pays d'origine des versements d'un total de plus de 60 milliards de dollars. La concurrence que se font les pays d'origine de ces travailleurs pour obtenir les emplois, combinée à leur manque relatif de pouvoir de marchandage vis-à-vis des pays de destination, a pour effet que les pressions qu'ils exercent en faveur de meilleures protections pour leurs travailleurs n'ont qu'une faible portée.

« Les réunions prévues pour les prochains jours représentent une occasion précieuse de promouvoir des normes régionales minimales, qui permettraient d'éviter une course vers le bas aux effets très négatifs en matière de conditions de travail », a déclaré William Gois, de Migrant Forum Asia. « Les gouvernements devraient mettre au point un plan d'action concret, en consultation avec les travailleurs migrants eux-mêmes et avec les organisations qui les représentent, assorti d'un système d'objectifs à atteindre afin d'en mesurer les progrès. »

La faculté de droit de l'Université de Koweït accueillera une manifestation le 23 novembre 2014, lors de laquelle des représentants d'Amnesty International, de Human Rights Watch, de la FITD, de la CSI et de Migrant Forum Asia participeront à une table ronde et discuteront des droits des travailleuses et des travailleurs domestiques migrants.

Ces organisations recommandent que les gouvernements :

Inscrivent dans les codes nationaux du travail et fassent appliquer des protections pour les travailleurs migrants, y compris pour les travailleuses et travailleurs domestiques;

Réforment le système de parrainage de visas appelé kafala pour garantir que les travailleurs puissent changer d'employeurs sans être obligés d'obtenir d'abord leur autorisation;

Suppriment l'exigence d'un « permis de sortie » en Arabie saoudite et au Qatar;

Renforcent la règlementation et la supervision des agences de recrutement de travailleurs, y compris en supprimant les commissions de recrutement versées par les travailleurs;

S'assurent que les migrants aient accès à des services juridiques et d'aide sociale; et

Élargissent le Dialogue d'Abou Dabi pour y inclure les pays d'origine des travailleurs africains, comme l'Éthiopie, l'Ouganda et le Kenya, ainsi que des organisations non gouvernementales.

Les gouvernements devraient ratifier et faire respecter les normes internationales en matière de travail et de droits humains, ont déclaré ces organisations. Parmi ces normes figurent la Convention 189 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, le Protocole de l'OIT sur le travail forcé et la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles.

La première session du Dialogue d'Abou Dabi s'est tenue aux Émirats arabes unis en 2008, et la deuxième a eu lieu à Manille (Philippines) en 2012. 

23 novembre 2014

Source : hrw.org/fr

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