Altmünster a menacé de sortir les "mitrailleuses" à l'annonce de la création d'un foyer de demandeurs d'asile il y a deux ans. Mais après avoir surmonté ses peurs, cette bourgade des Alpes autrichiennes s'est transformée en modèle d'accueil.
Au bord d'un lac, dans un paysage de carte postale, cinquante réfugiés originaires principalement de Syrie, d'Iran et d'Afghanistan sont hébergés dans un ancien hôtel, envoyant leurs enfants à l'école communale, bavardant avec les habitants à la supérette et participant à la vie associative.
"Je connais des centaines d'habitants. J'ai été très surpris : je ne pensais pas que les gens seraient aussi accueillants", explique dans un allemand impeccable Mohsen, un mécanicien iranien de 29 ans, devenu l'une des vedettes de l'équipe de foot locale et chargé de l'entraînement des jeunes U14 et U10.
Cette intégration quasi idyllique des migrants a valu à la commune, dont le bourg principal ne compte que 2.500 habitants, le label de "Lieu du Respect". Et tranche avec le rejet dont font souvent l'objet les réfugiés ailleurs dans le pays.
Début novembre encore, un député d'extrême droite a qualifié les demandeurs d'asile d'"hommes des cavernes", avec le soutien de son parti, le FPÖ. Quelques jours plus tôt, au Tyrol, des hommes criant "Sales étrangers, on vous aura!" ont tiré des coups de feu près d'un foyer.
Confrontées comme plusieurs autres pays européens à une explosion du nombre de réfugiés, les autorités autrichiennes ont étendu l'hébergement des demandeurs d'asile aux zones rurales, ouvrant des foyers d'office, sans consulter élus ni habitants.
A Altmünster, une commune touristique qui ne compte que 1% de chômeurs, la réaction a été particulièrement vive à l'annonce de la création imminente d'un tel foyer, en novembre 2012.
"Grande angoisse"
"Il y a eu un phénomène de rejet massif qui a très rapidement fait boule de neige", se souvient Franz Benezeder, le curé.
Alimentée par le FPÖ, une campagne rassemble plus de 700 signatures en quelques jours et des affiches xénophobes fleurissent partout dans la localité.
"Sur internet, il y avait des messages comme +On va mettre les mitrailleuses en batterie sur les balcons et on tirera+", témoigne Marlene Ebenberger, qui gère le foyer pour le compte de la Volkshilfe, une ONG mandatée par les autorités.
"Nous avons l'habitude des accueils mitigés. Mais je n'avais jamais vécu une telle situation. J'avais presque peur quand je venais ici", confie la jeune femme à l'AFP.
Mais les passions sont vite retombées, grâce à une initiative de la mairie et de la paroisse.
"Nous avons immédiatement organisé deux réunions publiques auxquelles ont participé beaucoup d'opposants, qui ont pu exprimer leurs craintes", raconte M. Benezeder.
"Je savais par une précédente expérience qu'il n'y avait pas de raison de s'inquiéter. J'ai aussi rappelé que l'accueil des étrangers est un des devoirs fondamentaux fixés par la Bible", poursuit le prêtre. "Très vite, j'ai senti que les gens se calmaient".
Pour le maire conservateur Hannes Schobesberger, "il y avait avant tout une grande angoisse, à laquelle il fallait répondre sans tarder".
Avalanche de dons
"J'ai expliqué qu'il s'agissait de gens qui avaient traversé des situations très difficiles, et qui avaient besoin de trouver une forme de sécurité", explique l'élu, pour qui la formule magique a été d'"informer correctement les gens, les laisser s'exprimer, puis les impliquer".
En une poignée de jours, les affiches hostiles disparaissent et une quarantaine d'habitants forment un collectif pour faciliter l'accueil des réfugiés.
"Quand ils ont vu arriver ces familles dans la neige, début décembre, les derniers opposants se sont tus, et certains se sont même portés volontaires pour les aider", se souvient M. Benezeder.
"Nous avons été littéralement submergés de vêtements, de vélos, et en quelques jours nous avions 6.000 euros de dons", précise Almut Etz, responsable du collectif Altmünster für Menschen (Altmünster pour les gens).
Avec l'argent, le collectif paie fournitures scolaires, lait infantile et couches, et organise des excursions pour les réfugiés. "Le Lion's et le Rotary, de leur côté, avancent les cautions pour les logements de ceux qui quittent le foyer", se félicite-t-elle.
Un goûter est organisé chaque mois avec la population et, une fois par an, les demandeurs d'asile proposent leurs spécialités aux habitants lors d'une grande fête, en partenariat avec le boucher local, souligne Mme Etz.
Mais la plus grande force du collectif, de l'avis général, réside dans la trentaine d'heures de cours d'allemand hebdomadaires prodiguées bénévolement par des enseignants confirmés.
Bilingues en 18 mois
"Il est très impressionnant de voir comment des Afghans qui n'avaient jamais été à l'école ont su parfaitement parler et écrire l'allemand au bout d'un an et demi, au point de réussir des tests officiels", évoque M. Benezeder.
Quant aux actes de délinquance ou d'incivilité initialement redoutés par les opposants, aucun n'a été rapporté.
"Ces gens mettent toute leur énergie à s'intégrer et à obtenir le statut de réfugié. Il est inconcevable qu'ils provoquent des incidents", souligne M. Schobesberger. "L'unique souci a été qu'au début certains n'étaient pas familiarisés avec le tri sélectif", sourit M. Benezeder.
Mohsen, le footballeur-mécanicien iranien, voit approcher presque à regret la fin du séjour à Altmünster après avoir obtenu le statut de réfugié avec sa femme et son bébé.
"Au club, certains m'ont confié qu'au départ ils avaient une mauvaise image des demandeurs d'asile, mais que nous avons changé cette image", se félicite-t-il.
Pour Marlene Ebenberger, "Altmünster montre que les peurs peuvent être surmontées. Et que l'accueil dans des petites localités peut être plus favorable à l'intégration que dans l'anonymat des grandes villes".
23 nov. 2014,Philippe SCHWAB
Source : AFP