« Mobiliser les compétences des migrants au service de la réussite économique » : le titre de la conférence de l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui se tient à Paris, lundi 1er et mardi 2 décembre, sonne comme une réponse au 15e congrès du FN. Alors que Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du parti, a, ce week-end à Lyon, une nouvelle fois assimilé l’immigration à la cause « la plus importante et la plus essentielle (…) du déclin français », les chercheurs de l’organisation offrent une autre approche et proposent des clés pour que la migration de travail stimule mieux la croissance.
Le portrait-type de l’immigré a changé. Celui qui ne savait pas toujours lire dans sa langue d’origine laisse de plus en plus souvent place à un migrant diplômé de l’université. « Dans les pays de l’OCDE, le nombre de personnes nées à l’étranger ayant un niveau d’éducation élevé a augmenté de 70 % au cours de la dernière décennie, excédant les 31 millions dans la zone », rappelle le rapport Perspective des migrations internationales 2014, publié lundi par l’organisation. Ces 31 millions sont à rapprocher des 115 millions de personnes vivant dans un pays de l’OCDE sans y être nées. En 2013, ce sont 4 millions d’immigrés permanents (avec visas longs séjours) qui se sont installés dans un de ces pays, soit 1,1 % de plus que l’année précédente.
La France, qui se situe désormais, selon la même source, au quatrième rang des pays d’accueil, s’est enrichie de 258 000 nouveaux venus en 2012 (les chiffres 2013 n’ont pas été donnés à l’OCDE). 38 % d’entre eux sont arrivés par regroupement familial, 37 % au bénéfice de la libre circulation européenne, 4,6 % pour raison humanitaire. Si seulement 12,1 % sont entrés avec comme motivation première affichée le travail, ils sont bien plus nombreux à exercer effectivement une activité.
L’Allemagne perçue comme exemplaire
Empêtrée dans ses chiffres du chômage, la France n’est pas bonne élève en matière d’optimisation de cette force d’appoint qui se positionne souvent sur des créneaux non remplis par les travailleurs autochtones. D’ailleurs, le taux de chômage reste de 15,7 % chez les hommes nés à l’étranger, contre 8,8 % chez les autochtones du même sexe. En plus, comme le rappelle Thomas Liebig, expert sur le sujet et co-auteur du rapport, « en France, seul un immigré hautement qualifié sur deux a un travail à la hauteur de ses qualifications. Les autres occupent un emploi sous qualifié ou ne travaillent pas ».
Ce gâchis hexagonal n’est pas une exception, même si elle est assez marquée en France. Dans la trentaine de pays qui ont participé à l’étude, il existe globalement un différentiel de sept points pour l’accès à l’emploi entre les populations nées à l’étranger et celles nées dans le pays où elles travaillent (les taux d’emploi sont respectivement de 77 % contre 84 %). En France, un jeune diplômé né à l’étranger doit envoyer deux fois plus de CV que s’il était né en France. Au Royaume-Uni, les jeunes nés dans un pays d’Afrique noire doivent en expédier 1,7 fois plus et les Turcs d’Allemagne 1,4 fois plus.
L’Allemagne s’est dotée en 2012 d’une nouvelle loi sur ce sujet, perçue aujourd’hui comme assez exemplaire par les experts internationaux. Chaque immigré disposant de qualifications acquises à l’étranger a désormais droit à une procédure de reconnaissance des compétences, afin de fluidifier l’entrée sur le marché du travail. Devenue le deuxième pays d’immigration après les Etats-Unis avec 400 000 entrées en 2013, nos voisins ont mis en place une véritable stratégie. « Ils ont commencé par travailler sur la reconnaissance des diplômes des pays d’origine, mettent aujourd’hui l’accent sur l’apprentissage de la langue allemande, mais aussi sur l’organisation de cours “passerelle”. Ils établissent un diagnostic des lacunes d’un migrant et lui proposent des façons d’y remédier », explique M. Liebig.
« Répondre aux besoins du marché du travail »
D’autres pays développent une approche voisine, comme le Danemark, où les partenaires sociaux sont partie prenante de l’évaluation des compétences d’un nouvel arrivant. « Et je ne vous parle pas de pays comme le Canada ou l’Australie, qui sont sensibilisés depuis bien plus longtemps à cette valorisation », ajoute l’expert. Bref, peu à peu, l’insertion sur les différents marchés du travail se fait avec le plus de finesse possible pour répondre aux besoins de l’économie, sans aggraver le taux de chômage des actifs nationaux. Il reste des progrès à accomplir en la matière puisque, depuis 2007, l’OCDE compte 15 millions de chômeurs supplémentaires dont un sur cinq est un migrant.
Ce sujet est d’envergure, pour plusieurs raisons. D’abord, les analystes de l’OCDE ont établi que « même si le chômage reste élevé dans les pays de l’OCDE, les migrations ont encore un rôle à jouer pour répondre aux besoins du marché du travail et stimuler la croissance économique. » Ensuite, les projections à 2020 laissent entrevoir d’une part que « les stocks de personnels peu qualifiés tomberont de 60 à 40 millions de personnes », ce qui devrait entraîner « un déficit d’ici 2020 » en main-d’œuvre de ce type. D’autre part, les personnels hautement qualifiés, dont le nombre sera passé de 49 à 78 millions sur cette zone, seront eux aussi en déficit de plusieurs millions. Les actions menées aujourd’hui doivent être pensées comme des investissements.
Pour Thomas Liebig, cette optimisation économique a un autre effet, essentiel en termes de cohésion sociale, puisqu’elle entraîne un changement de perception des migrants par une société. « Nous avons observé cet effet en Allemagne. L’approche par l’optimisation de ce capital humain a fait évoluer les termes du débat. Avant, les immigrés étaient souvent vus comme peu qualifiés, peu intégrés ; c’est en train d’évoluer », estime-t-il. Le rapport de l’OCDE ouvre donc des perspectives aussi bien sociologiques qu’économiques. Ce qui n’est pas une mince avancée dans un débat aussi bloqué.
1/12/2014, Maryline Baumard
Source : Le Monde