dimanche 24 novembre 2024 10:51

Le poison culturel de la politique migratoire européenne

L'historien Fernand Braudel a écrit dans son livre La Méditerranée que la notion de culture repose sur l'organisation démographique et historique d'une zone géographique. Ce qui est essentiel, c'est la libre circulation des idées et des coutumes en provenance d'autres cultures. Si Braudel dit vrai, quelle conclusion doit-on tirer de la politique migratoire de l'Europe?

Pour faire court, l'Europe est extrêmement réticente à l'assimilation des "biens culturels". Elle semble actuellement engagée dans un processus visant à tenir à l'écart, à écraser et à repousser tout ce qui est différent de sa propre culture. Les us et les coutumes qui sont très éloignés de ce qu'elle connaît déjà sont jugés indésirables, même quand ils trouvent leur origine dans des cultures majeures et historiques. Les personnes qui les pratiquent front les frais de la version la plus extrême de cette approche. A moins d'être citoyen de l'Union européen, il est aujourd'hui si difficile d'entrer sur le continent que ceux qui s'y risque y perdent parfois la vie.

Dans une interview pour Counterpunch, le sociologue américain Henry Giroux a eu des mots très durs envers le phénomène croissant de la cruauté envers les pauvres, les chômeurs et les sans-abris aux Etats-Unis. Les mesures politiques qui occasionnent de la détresse et de la souffrance pour des millions de gens engendrent également du dédain et du mépris envers les plus démunis. Cette attitude de cruauté envers les pauvres et les réfugiés est en train d'émerger en Europe. Notre continent est engagé dans une lutte sans merci pour repousser ceux qui viennent y chercher refuge, y trouver la sécurité et un meilleur avenir. John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale chez Amnesty International, a mis en évidence le coût en vies humaines et en souffrance lié à la politique migratoire de l'Union européenne chez les populations les plus vulnérables. Cette politique a également donné naissance à une culture de la cruauté qui a déjà son vocabulaire propre: le mot "réfugié" est de moins en moins utilisé, et l'expression "immigration clandestine" remplace désormais la notion de "sans papiers". La notion de "protection internationale" est tombée en désuétude et le mot "asile" est désormais connoté.

Les exemples de cette évolution en Europe sont légion. En février, la Garde civile espagnole a ouvert le feu sur 250 immigrés et réfugiés, avec des balles en caoutchouc, des balles à blanc et des grenades lacrymogènes, dans l'enclave espagnole de Ceuta, en Afrique du Nord. En Grèce, la police a quotidiennement recours à la violence envers les immigrants, comme en attestent les centaines d'incidents recensés sur les réseaux sociaux et dans les rapports des ONG. La ville de Manolada, dans le Péloponnèse, est devenue le symbole de la répression sanglante et de la cruauté envers les immigrants.

L'Italie n'est pas en reste: elle a mis en place l'opération Mare Nostrum, à laquelle participaient la marine, l'armée de terre et l'armée de l'air, les carabiniers, les gardes-côtes et la police, dans le but de contrôler les flux migratoires en provenance d'Afrique du Nord. Cette opération s'est soldée par un échec puisqu'elle n'a pu empêcher la mort de plusieurs centaines d'immigrants au large des côtes italiennes et qu'elle a entraîné une augmentation des passeurs le long des côtes libyennes. Le coût mensuel de cette opération s'élevait, pour l'Etat italien, à 9,5 millions d'euros. Pas découragé pour autant, le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, tente d'organiser Frontex Plus, qui impliquerait plusieurs pays européens dans la lutte contre l'immigration clandestine. Tout ceci dans une période où seuls 4% des réfugiés syriens sollicitent l'asile politique en Europe, d'après un rapport de du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies.

Au nom de la défense de leur prospérité, les membres de l'Union européenne encouragent un déclin historique des valeurs et des principes humanitaires sur lesquelles repose une grande partie de la culture du continent depuis trois siècles. Non seulement l'Etat-providence est en recul, mais on assiste à une généralisation de l'hostilité envers les populations vulnérables. Le point de vue prévalent considère que ces populations vulnérables n'ont pas leur place chez nous, surtout quand elles viennent d'ailleurs. L'implication culturelle pour l'Europe, qui a cessé depuis longtemps de jouer un rôle majeur dans ce domaine et vit aujourd'hui dans l'ombre des Etats-Unis, est incalculable. Le dialogue entre l'Europe et les cultures africaines ou asiatiques est quasiment inexistant depuis des années : les restrictions, l'exclusion et même l'hostilité pure et simple sont désormais la réponse habituelle de notre continent. C'est dans ce monde que grandissent et vivent des millions de jeunes Européens, qui tentent de se forger une identité. Si Braudel avait raison, l'avenir culturel de l'Europe est décidément bien sombre, et l'immigration est l'un des fronts principaux des batailles culturelles à venir.

02/12/2014,  Alexandra Politaki

Source : huffingtonpost.fr

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