L’Association Marocaine d’Etudes et de Recherches sur les Migrations (AMERM) a organisé fin novembre, en partenariat avec la Faculté des sciences économiques, juridiques et sociales, un séminaire international sur le Code de la Famille en migration. Une plate-forme de dialogue et d’échange sur l’application de ce Code pour les Marocains du Monde (MDM), particulièrement en Europe là où vivent 80% des émigrés marocains :
France, Belgique, Pays-Bas, Italie, Espagne… avec ce que cela entraîne comme regroupement familial et transfert de fonds : 6 milliards de dollars au Maroc. Cette synergie entre les chercheurs d’ici et d’ailleurs et ces échanges scientifiques, c’est ce qui contribue au changement, au-delà des divergences. L’AMERM fait le bilan des obstacles et des points qui peuvent faire avancer les droits, à la lumière des droits de l’Homme et de l’égalité, toujours au centre de toutes les analyses sur la question des femmes en migration.
Le colloque abordait la question migratoire sous tous les angles, le vécu, les réalisations, les craintes, les questions en suspens, de par des experts et chercheurs marocains et européens. De nombreux enjeux politiques, culturels, économiques, sociaux… entrent dans le cadre de la question migratoire. Et puisque le monde change, la Moudawana doit suivre et être révisée à la lumière des réformes constitutionnelles égalitaires et de droit. L’aspect conventionnel devrait être consacré aux aspects techniques et il faut que le Maroc insère le principe de l’égalité dans tous les aspects. A l’étranger, tout ce qui est discrimination ne passe pas dans les juridictions étrangères.
Plus de 10% de Marocains sont à l’extérieur, confrontés aux conflits de loi et de culture, là où la gestion des relations matrimoniales est difficile. Une loi qui n’est pas conforme aux attentes des familles marocaines immigrées et qui soulève plusieurs problématiques dans le pays d’accueil telles que le mariage des mineures, le mariage sous tutelle, la filiation…. Avec la Constitution de 2011, le Code de la Famille, établi à la base de notre société là où elle se trouve, s’avère dépassé dans certaines applications, surtout en dehors du pays d’origine.
La mise en œuvre de la Moudawana en Europe n’a rien à voir avec son application au Maroc. Si le Code de la Famille est le document ou référentiel en matière législative qui gère les relations matrimoniales et familiales dans le Royaume, entre mariage, divorce, partage des biens, pension..., et qui cadre les juges, à l’étranger, c’est une autre paire de manches. Surtout pour les binationaux. Autres cieux, autres mœurs, autres lois. La double nationalité complique encore plus les choses. Pour toute procédure juridique, un couple doit se référer à la fois aux lois nationales mais aussi à celles du pays d’accueil, établies selon des valeurs culturelles et juridiques propres au pays d’accueil. Ce sont donc deux contextes différents. Si pour nous, c’est une évolution, exporter notre Code tel qu’il est donne du fil à retordre aux autorités étrangères. Et plusieurs procédures juridiques ne passent pas, car incompatibles avec les règles du pays d’accueil ou compte tenu des mutations qui se produisent, tel que le port du foulard, ou autre.
Pour Mme Malika Benradi, juriste et professeur universitaire, initiatrice et coordinatrice du projet, le colloque est là pour palper la réception du Code de la Famille marocain par un code étranger et dans un contexte différent du nôtre. Une problématique qui concerne aussi bien l’ordre juridique marocain qu’étranger. C’est une question sensible car elle interpelle des référentiels antinomiques : un référentiel fondé sur la religion et un autre fondé sur la laïcité. Il s’agit d’arbitrer sur des lois antagonistes. Donc quelle loi appliquer, la loi nationale ou étrangère ? Lorsque le mariage est contracté, en cas de procédure de séparation, s’impose la question de la gestion et de la répartition des biens communs. A qui échoira la résidence par exemple. Bref, plusieurs éléments entrent en jeu et risque d’hypothéquer la stabilité des familles marocaines dans le pays d’accueil. Une situation ambigüe aggravée par la double nationalité et implique un débat qui doit transcender le volet juridique pour s’intéresser à la question, fondamentale cette fois, de l’identité.
Depuis 2004, les Marocains du Monde (MDM) contractent leur mariage dans le pays d’accueil. Si certaines dispositions du Code de la Famille à travers la jurisprudence sont maintenues, comment répondre en droits aux valeurs culturelles qui maintiennent certaines spécificités: séparation moyennant compensation, le régime successoral, mariage entre musulman et non musulman ? La loi nationale combinée à l’émigration révèle des conflits de lois et de culture qui pose le problème au cœur de l’intégration. Et statuer sur la reconnaissance de la polygamie pour ce qui est des prestations sociales et du regroupement familial est un vrai problème à l’étranger. Au-delà du Code de la Famille qui se déplace, c’est tout le volet religieux qui se déplace avec toute sa jurisprudence. D’où la difficulté de son application dans des institutions imprégnées des principes de la laïcité.
Dans la pratique, les juridictions européennes appliquent certaines procédures conformes à leurs valeurs et refusent des processus qui ont trait à la répudiation, à la polygamie…Face aux limites du droit international privé, le Code de la Famille est écarté de manière systématique.
Dans l’intérêt et la stabilisation des familles, il est impératif de réviser certaines dispositions perçues discriminatoires au Maroc et à l’étranger, relatives à l’égalité et la lutte contre toutes les discriminations fondées sur le genre.
10 ans après sa mise en œuvre, le code de la famille commencerait à révéler certaines lacunes juridiques. C’est au moins ce qu’affirme Mme Zhor El Hor, avocate, membre de la commission royale de révision du code du statut personnel, et pour qui le Code de la Famille serait dépassé dans certaines applications après la réforme constitutionnelle de 2011. Ce qui impose de chercher une certaine complémentarité dans ce double référentiel et qui accommoderait le volet religieux et avec celui des droits de l’Homme.
Le débat a été enrichi par plusieurs intervenants, nous citerons Pr Mohamed Khachani, Secrétaire Général de l’AMERM, le Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales, la Ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement, le vice -Président du Conseil de la Communauté des Marocains à l’Etranger, Pr Malika Benradi, membre du bureau de l’AMERM. Plusieurs thèmes ont été débattus : « Les innovations du code de la famille par rapport aux droits familiaux des familles », « La situation juridique de la famille immigrée dans le code de la famille », « Le rôle des conflits de lois dans l’évolution des systèmes juridiques internes : le cas franco-marocain », « La situation des familles marocaines immigrées en Europe depuis l’entrée en vigueur du code de la famille en 2004 », « La polygamie dans l’ordre juridique français », « Le mariage et sa dissolution dans les relations franco-marocaines » , « La vie familiale des ressortissants marocains en Belgique face aux pratiques administratives », « 10 ans du code de la famille marocain : application, interprétation et refus par le juge néerlandais : le mariage et la filiation », « Le code marocain de la famille dans la pratique judiciaire Italienne : spécificités et similitudes de l’approche italienne par rapport à la jurisprudence d’autres pays européens », « La paternité légitime dans les relations hispano-marocaines », « Et si on interrogeait les règles successorales ?», « Les règles de filiation en droit algérien et leur perception par l’ordre juridique européen».
6/12/2014, B. Nennani
Source : L’Opinion