« Votre texte est une machine à légaliser les clandestins, et quand il y a trop de clandestins dans un bateau, il coule. » C'est en ces termes que Gilbert Collard, secrétaire général du Rassemblement Bleu Marine, s'est adressé au ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, mardi 9 décembre, au soir de la première journée de débat sur le droit d'asile. Les députés UMP qui avaient pris la parole avant lui, ont aussi reproché au texte gouvernemental en discussion de ne pas aborder le sort des déboutés du droit d'asile.
En 2013, sur les 60 095 demandeurs d'une protection qui ont frappé aux portes de la France, 76 % ont été écartés. Selon les différentes sources, entre 5 % et 22 % seraient effectivement repartis. Tenant donc rigueur au ministre de n'avoir pas prononcé le terme « éloignement », le député des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, a proposé une nouvelle fois d'assimiler tout refus d'accès au statut de réfugié à une obligation de quitter le territoire français. Il avait déjà fait cette proposition en commission des lois. Pour son collègue Pierre Lellouche, de la première circonscription de Paris, « les mesures d'éloignement doivent être le pendant des droits accordés aux demandeurs d'asile ».
Des améliorations du traitement des demandeurs d'asile, il aura été peu question hier dans l'hémicycle. Le raccourcissement prévu des délais d'examen des dossiers de demandeurs, l'amélioration escomptée de leurs conditions de logement, n'auront été qu'à peine effleurés. Même si c'est la réforme du droit d'asile qui doit être discutée, le débat s'est égaré.
Ce glissement vers le sujet plus large des flux migratoires était d'ailleurs inévitable. La droite s'était promise de l'opérer et de mettre ainsi en échec la stratégie du gouvernement. Ce dernier avait en effet décidé de dissocier sa loi sur le droit d'asile de celle plus générale sur l'immigration qui arrivera en discussion au printemps à l'Assemblée, pour éviter justement toute confusion des genres.
« FICHE WIKIPÉDIA SUR L'ASILE »
Le ministre et la rapporteure du texte, Sandrine Mazetier, ont donc passé leur soirée à ramener le débat sur leur sujet, sans éluder pour autant les questions. Un exercice pas si simple, que Bernard Cazeneuve a exécuté avec une certaine patience. Pourtant, le débat d'hier a aussi montré comment se fabrique la désinformation.
C'est l'UMP Pierre Lellouche qui était à la manœuvre. Sans doute exaspéré d'être accusé d'avoir mal digéré « la fiche Wikipédia sur l'asile », par une Sandrine Mazetier en verve, l'élu parisien a déroulé une série d'opérations simplistes qui frappent les esprits et contribuent à construire des idées fausses.
Pour M. Lellouche, en effet, « les 200 000 titres de séjours que délivre le pays chaque année conduisent au bout de dix ans à 2 millions d'étrangers qui font 8 millions au bout de quarante ans ». Sans démonter totalement ce raisonnement fallacieux, Bernard Cazeneuve a demandé à l'additionneur zélé d'« ôter au moins des 200 000 bénéficiaires annuels d'un titre de séjour les 60 000 étudiants, puisqu'on ne leur offre pas de visa d'installation ». Il a par ailleurs rappelé que les 200 000 bénéficiaires d'un titre ne vont pas forcément s'installer durablement sur le territoire français…
Cette passe d'armes, qui s'est produite dans un hémicycle clairsemé, après 22 h 30, montre comment peuvent s'installer dans le débat des données sans assises sérieuses. Mais par-delà cette parenthèse, le premier jour de discussion sur la loi relative au droit d'asile aura surtout permis de rappeler que l'immigration est toujours un marqueur fort du débat politique.
2014/12/10, Maryline Baumard
Source : le monde