Des magistrats marocains spécialisés dans le code de la famille se sont livrés à un patient travail de sensibilisation sur la Moudawana, à l'épreuve d'une décennie d'application, en faveur de la communauté marocaine établie au Danemark, un évènement rehaussé par la présence du président du parlement du pays scandinave, Mogens Lykketoft.
Initiées par le centre danois de recherche sur le genre KVINFO en partenariat avec l'Association des Amis du Maroc au Danemark, deux rencontres étaient au programme en fin de semaine écoulée, à Copenhague et dans la ville de banlieue, N?stved, où réside une large communauté marocaine notamment originaire des provinces du sud du Royaume.
''La réforme du code de la famille fait partie des avancées majeures réalisées par le Maroc ces dernières années'', a rappelé à cette occasion M. Lykketoft, membre influent du parti socio-démocrate, à la tête de la coalition au pouvoir depuis 2011.
Pour ce vétéran de la scène politique danoise, appelé l'an prochain à assumer la présidence de l'Assemblée générale de l'ONU, il est important pour les maroco-danois d'être bien informés de ce qui se passe dans leur pays d'origine pour garantir le plein accès aux droits, notamment pour les femmes.
Et c'est un débat à cœur ouvert, aussi instructif que passionnant, que les MRE, ont eu avec les magistrats Abdelkader Drider, Hamid Fadli, Mohamed Ali El Hichou, Saad Assebar et Abdelkader El Bettah, accompagnés de l'avocate du barreau d'Agadir-Laayoune et militante des droits des femmes, Amina Mahrach.
Après un bref exposé sur les grandes lignes de la Moudawana, Me Abdelkader Drider, juge au Tribunal de Casablanca, a en effet promis une discussion loin de toute langue de bois et une explication des textes et des procédures avec un langage simple, sachant qu'une traduction simultanée en danois a été assurée par de jeunes volontaires issus de la troisième génération.
Dans une salle archi-comble de Norrebro, quartier multi-ethnique de la capitale danoise, les questions et interrogations ont vite fusé d'une audience en majorité constituée de femmes.
C'est le signe, selon la Secrétaire générale de l'Association des Amis du Maroc, Hakima Lasham Lakhrissi, de la soif des MRE à ce genre d'interactions et leur souci de s'assurer un conseil juridique basé sur une information correcte et mise à jour.
Trois ans après son divorce, Samira, jeune cadre marocaine, née à Copenhague, dit trouver de la peine à prouver son droit légitime, selon elle, à une part du patrimoine constitué au Maroc durant les huit ans de vie commune avec son ex-mari.
Ilham, la quarantaine, cherche, elle, à savoir comment obtenir la nationalité marocaine à sa fille née de son mariage avec un Danois de souche, un droit que cette maman, fort émue, juge indispensable pour garder solides les liens de l'adolescente avec son pays d'origine.
Pour Brahim, installé depuis 22 ans au Danemark, le code de la famille, entré en vigueur en 2004, ne continue-t-il pas à léser la femme immigrée, qui se retrouve délaissée, après une longue vie commune, lorsque le mari décide de se remarier au Maroc sans même l'aviser ?
Un autre père de deux filles se pose, quant à lui, la question de savoir comment la Moudawana garantit, en cas de séparation, le droit de la femme à la garde des enfants ou à ses biens, constitués au prix de son travail ou hérités de ses propres parents?
Les spécialistes du code de la famille se sont relayés pour expliquer, dans le menu détail, les avancées apportées par la Moudawana au profit de la famille et pour la préservation des droits de la femme et de l'enfant, clarifier bien des zones d'ombre, parfois des contre-vérités et souvent des mauvaises interprétations des articles de loi, exposer les procédures et rappeler toutes les facilités mises en place pour assurer aux justiciables l'accès le plus facile à la justice.
Contracter un mariage ou engager le divorce ne nécessite plus un déplacement au Maroc, les documents établis devant une administration publique autorisée au Danemark sont reconnus, sous quelques conditions simples, par les tribunaux marocains, la femme marocaine peut donner aisément la nationalité à ses enfants, la polygamie est tellement régie par des lois et des restrictions qu'elle est quasiment réduite à des cas très limités et la femme peut consigner toutes ses conditions dans un document annexe à l'acte de mariage, y compris pour ce qui est du patrimoine constitué avant ou tout au long du mariage.
Les magistrats ont aussi tenu des séances conseils restreints pour discuter des cas particuliers surtout lorsque, par pudeur, les intéressés choisissent de ne pas les évoquer en public.
Tout un dispositif juridique au sein du Code de la famille et en termes de logistique dans les différents tribunaux, notamment lors des vacances d'été, est destiné à la communauté marocaine à l'étranger, a rappelé Me Abdelhadi El Bettah, juge attaché au ministère de la Justice qui a, par ailleurs, assuré que toutes les doléances des MRE au Danemark, comme dans les autres pays d'accueil, sont prises en compte par son département pour améliorer les prestations en partenariat avec les autres ministères, dont celui des Affaires étrangères et des Marocains à l'étranger.
Pour Mme lasham lakhrissi, véritable cheville ouvrière des deux rencontres, sans la sensibilisation et l'information correcte, bien des avancées majeures contenues dans le code de la famille restent méconnues pour bien des Marocains, notamment les femmes qui se trouvent, selon elle, vulnérables et souvent victimes alors que la loi est pleinement de leur côté.
Aussi, son association a-t-elle plaidé en faveur de l'ouverture d'une section d'assistance juridique au sein de l'Ambassade du Royaume à Copenhague pour servir au mieux les intérêts de la communauté marocaine aussi bien au Danemark que dans les autres pays scandinaves voisins.
A N?stved, à une heure de route de Copenhague, où réside une grande communauté marocaine issue des provinces du sud du Royaume, le maire de la ville, Carsten Rasmussen, a salué l'importance de la contribution des MRE à leur pays de résidence, servant de socle pour des liens étroits entre les deux Royaumes, citant l'exemple de Hiba Mohamed Belhaiba, membre du conseil local, qui a fait du bénévolat une vocation dans son engagement social.
Ces rencontres de sensibilisation font suite à deux jours de débat académique sur la Moudawana à Copenhague en présence d'un panel de juristes, juges, universitaires et militants associatifs des deux pays, une rencontre qui fait suite à une conférence organisée l'an dernier à Rabat sur une décennie de mise en œuvre du nouveau code de la famille au Maroc.
09 déc. 2014,Omar ACHY
Source : MAP