Voulue par Lionel Jospin, ouverte depuis 2007, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, à la Porte dorée de Paris, n'a jamais été officiellement inaugurée par un chef de l'Etat. François Hollande va réparer cet impair lundi soir.
Le communiqué de presse de l'Elysée, diffusé ce week-end, annonce que François Hollande va inaugurer lundi soir la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI), située dans le Palais de la Porte dorée à Paris. Le chef de l'Etat doit prononcer à cette occasion son premier grand discours sur l'immigration. Seulement, ce musée national - qui appartient et est géré par l'Etat - est ouvert depuis déjà sept ans. Depuis 2007, seuls les ministres de la Culture ont assisté aux vernissages des expositions. Le 30 mars 2009, Xavier Darcos et Eric Besson, ministres de l'Education et de l'Immigration, ont bien tenté d'"inaugurer officiellement" la Médiathèque de la Cité, mais ils ont dû quitter les lieux avant le début de la cérémonie face à une manifestation de jeunes sociologues dénonçant l'instrumentalisation des mouvements migratoires par le pouvoir.
Comment expliquer cette situation inédite dans l'histoire récente de la politique culturelle française? Il faut remonter non pas aux origines du projet, mais à celles du Musée du Quai-Branly. Jusqu'au début des années 2000, le Palais de la Porte dorée, propriété de l'Etat, logeait le Musée des Arts africains et océaniens. Sous la volonté de Jacques Chirac, les collections de ce musée ont été versées à celle du nouveau Musée des Arts premiers, située sur le Quai Branly. Laissant de fait un espace vide pour un nouveau lieu culturel national.
Plusieurs années de gestation
Lionel Jospin, alors Premier ministre, voit là une opportunité pour la gauche de mener un projet déjà imaginé sous Mitterrand. En 2001, le locataire de Matignon commande un rapport à l'association Génériques sur la création d'un "centre national de l'histoire et des cultures de l'immigration". Une fois le document rendu, les socialistes lancent le projet de musée avec l'hypothèse d'entrer à l'Elysée en 2002 et, ainsi, de le mener à bien. Mais le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen élimine Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle et, deux semaines plus tard, Jacques Chirac est réélu.
Jacques Chirac n'est pas hostile au projet et le récupère. Mais à droite, l'idée d'un Musée national de l'immigration ne fait pas unanimité. Nicolas Sarkozy, encore ministre de l'Intérieur, défend déjà l'idée d'un Musée de l'Histoire de France. Malgré tout, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration finit par être financée et ouvre ses portes début 2007. En pleine présidentielle, alors que Nicolas Sarkozy bat campagne sur les thèmes d'identité nationale et d'immigration, inaugurer la CNHI semble toutefois délicat. De plus, un projet de loi, qui instaure des tests ADN lors des regroupements familiaux, divise à l'époque les parlementaires. Pour éviter de faire monter la tension, Jacques Chirac ne se déplace pas pour l'ouverture de la Cité.
Traversée du désert sous Sarkozy
Arrivé au pouvoir, Nicolas Sarkozy met le dossier sous le dessous de la pile : non seulement il n'a pas voulu de cette Cité, mais, au-delà du fait que la politique culturelle ne fait partie de ses priorités, il préfère défendre la création d'une Maison de l'Histoire de France - un projet motivé par son conseiller Patrick Buisson qui n'aboutira jamais. Après la manifestation qui a forcé ses ministres Eric Besson et Xavier Darcos à quitter la Cité de l'immigration le 30 mars 2009, Nicolas Sarkozy n'a plus voulu entendre parler de ce musée maudit.
D'autant qu'entre 2007 et 2012, la CNHI a d'autres problèmes. D'abord, les thèmes de ses expositions suscitent régulièrement la polémique au sein de la communauté scientifique. Celle sur le foot et l'immigration notamment fait couler beaucoup d'encre… sans amener du public pour autant. Car le vrai problème de la Cité devient rapidement financier. Les salles sont vides et, au sein du Palais de la Porte dorée, les visiteurs se rendent quasiment exclusivement à l'aquarium, situé dans les sous-sols du bâtiment. Jacques Toubon, l'ancien ministre de la Culture nommé à la tête du Conseil d'orientation de la CNHI, peine à trouver des financements.
Le renouveau en 2013-2014
En octobre 2010, c'est le coup de grâce. Cornaqués par la CGT, environ 500 sans-papiers occupent les lieux. Jusqu'à 300 dorment sur place, et des banderoles sont déployées sur le fronton du Palais de la Porte dorée. Le gouvernement, qui veut éviter des images télévisées d'expulsions par des CRS, met quatre mois à régler le problème. Le musée sera même fermé un temps, par décision préfectorale.
Les années suivantes permettent toutefois un retour au calme. Jacques Toubon - nommé défenseur des droits et remplacé depuis l'été dernier par l'historien Benjamin Stora - tire les leçons des polémiques du mandat Sarkozy et, avec la bénédiction du gouvernement Ayrault, il revoit la muséographie de la Cité courant 2013. Les expositions sont désormais recentrées, avec moins de références à l'actualité et d'engagement politique, et plus d'arts et histoire. Par ailleurs, la récente nomination de Mercedes Erra, présidente exécutive de Havas Worldwide, à la tête du Conseil d'administration permet un afflux de mécènes non négligeable. C'est, dans cette optique de renaissance, qu'une vraie inauguration, cette fois officielle, a été validée.
15 décembre 2014, Gaël Vaillant
Source : leJDD.fr