Tous les lundis, ils descendent dans les rues de Dresde, capitale de la Saxe. Leur nombre augmente. Au début, en octobre, ils étaient quelques centaines, le lundi 8 décembre, ils étaient 10 000, le lundi 15 décembre, 15 000.
Ce sont des habitants de toutes les couches de la société. Mais, on y voit également des hooligans, des néonazis et des spécialistes d'extrême droite de la théorie du complot. Ce mouvement né en octobre dernier porte le nom de Pegida acronyme allemand pour « Européens patriotes contre l'islamisation de l'Occident ». Tout un programme !
Les manifestants disent qu'ils ne se sentent plus chez eux, qu'ils ont peur de la disparition de la culture chrétienne.
A Düsseldorf, Kassel, Sarrebruck et Offenburg, des centaines de personnes ont manifesté également. Le mouvement doit se poursuivre dans d'autres villes. Concernant les opposants, si à Düsseldorf , ils étaient trois fois plus importants que les partisans de Pegida, ce n'était pas le cas à Dresde où ils étaient 9 000 le 8 décembre et 6 000 le 15.
Dix mois avant la création de Pegida, on assistait à une augmentation de manifestations contre des foyers de demandeurs d'asile, qui sont devenues violentes, puisque deux fois par semaine, on apprenait que des foyers de demandeurs d'asile étaient attaqués par des éléments d'extrême droite. Depuis que Pegida existe, s'ajoutent des incendies de logements réservés à des réfugiés, sans oublier les croix gammés ci et là.
Des criminels à la tête de Pegida
Selon une enquête de der Spiegel, les organisateurs de Pegida sont connus de la police comme des criminels. Une centaine de militants du mouvement font partie de deux groupes d'hooligans que les autorités classifient comme étant d'extrême droite. Des liens ont lieu avec le groupe « Hooligans contre les salafistes ». Le fondateur de Pegida, Lutz Bachmann, est lui même criminel. Il a été plusieurs fois condamné et se trouve actuellement en liberté conditionnelle. Bachman a à son actif : vols, fausse déposition, conduite sans permis, alcool au volant, cambriolage, deal etc.. En 1990, condamné à 4 ans de prison, il fuit en Afrique du Sud mais il est pris par les services d'immigration deux ans après.
Andreas Zick, chercheur sur les questions de conflits a déclaré à der Spiegel que des Anti-européens, des activistes anti-Islam et des citoyens qui considèrent ne plus être écoutés ainsi qu'une partie de l'AfD, tentent de créer une « société parallèle radicale ».
Voilà ce que défend Pegida ?
«Wir sind das Volk » ou « Nous sommes le peuple »; "Ce n'est qu'une question de temps, pour que le Christstollen (gâteau de Noël traditionnel allemand) soit débaptisé »; « Pegida n'est pas xénophobe, et n'est pas contre l'Islam en soi. Seulement contre l'islamisation »; « Des heures de piscine extra pour les femmes portant la burqa sont une preuve d'islamisation »; « Nous ne sommes pas des nazis »; « Nous ne sommes pas politiquement correct, et voulons de nouveau la liberté d'expression »; « Nous sommes pour la tolérance zéro concernant les migrants criminels »; « Nous n'avons rien contre les réfugiés. Les réfugiés peuvent venir volontiers, mais pas les réfugiés économiques »; « Les politiques ne nous écoutent pas, c'est la raison pour laquelle nous devons nous mêmes être actifs »
Inspiration de la révolution conservatrice allemande de la fin du XIXe siècle
A Dresde notamment, mais aussi à Düsseldorf, les militants de Pegida ont comme mot d'ordre « Wir sind das Volk » ou « Nous sommes le peuple ». Ils captent ainsi le mot d'ordre de l'automne 1989 en RDA peu de temps avant la chute du mur. Pegida tente ainsi de faire le lien avec les manifestations du lundi de 1989. Sauf qu'aujourd'hui, il s'agit de créer un climat contre les réfugiés en Allemagne. « nous sommes le peuple » mais contre les réfugiés, ce qui n'a rien à voir avec la dignité humaine, la liberté, les valeurs de la révolution pacifique de 1989. PourAndreas Zick, le mot « Volk » peut se déplacer rapidement vers « völkisch », intraduisible en français, qui va bien au delà du concept de « populaire » et qui englobe le peuple dans ce qu'il y a de plus transcendant, de plus sacré, prenant comme base le courant intellectuel et politique de la Révolution conservatrice apparu en Allemagne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.
Pourquoi à Dresde et en Saxe ?
Pegida ne comprend pas pourquoi il est mis au même niveau que l'extrême droite et les néo-nazis. Les organisateurs des manifestations de Dresde qui savent très bien que des nazis très connus dans la ville participent aux manifestations, considèrent qu'ils constituent une minorité qu'on ne peut pas mettre à l'écart en raison du droit de rassemblement. Les organisateurs ne prennent pas leurs distances vis à vis des nazis et des hooligans. Même si Lutz Bachmann prétend ne rien à voir avec les Nazis, il ne dit pas non plus que leur présence dans les manifestations le dérange.
D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si ce mouvement est parti de Dresde, capitale du Land de Saxe. Déjà la Saxe s'est distinguée en 2004, puisque le Parti néo nazi, qui avait fait de Dresde son centre d'activité, a obtenu plus de 9% des suffrages aux élections de septembre 2004, lui permettant de constituer un groupe politique au parlement du Land de Saxe.
C'est en Saxe que le NSU, un gang néo-nazi ou Clandestinité Nationale-Socialiste a vécu incognito pendant plus de 10 ans et planifié ses meurtres en série, comme ceux de neuf migrants, sans être inquiété par la police, révélant ainsi l'infiltration des services de renseignement par l'extrême-droite. C'est un jugement de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui a mis fin à ces pratiques en 2013.
Il y a donc à Dresde un terreau pour des mouvements de ce genre. La grande préoccupation des militants de Pegida est la menace qui pèse sur la culture allemande et une disparition progressive du patrimoine culturel chrétien.
Depuis qu'à Berlin, des marchés de Noël ne s'appellent plus ainsi, mais portent le nom de marchés d'hiver, les manifestants de Pegida craignent que la disparition de notions religieuses se poursuivent, notamment pour la Christstollen, un gâteau de noël traditionnel allemand, dont l'original est en Saxe. La Christstollen est la fierté des Saxons et notamment des habitants de Dresde. Cette peur n'a pourtant aucun sens dans la mesure où l'appellation Christstollen est protégée depuis 1996, un label européen règle la classification de la Christstollen. 130 boulangers fabriquent la Christstollen originale. Des contrôles ont lieu régulièrement. En 2012, la Christstollen a obtenu « le label du siècle ».
Pegida tente, à vrai dire, en développant les sentiments de peur, de faire croire que les étrangers sont plus délinquants que les Allemands, que les Musulmans sont tous des islamistes radicaux et ce, dans un Land où les Musulmans ne représentent que 0,1% de la population, alors qu'ils sont plus de 13% à Berlin. La Saxe, une région de l’ex-RDA, non loin de la Pologne et de la République tchèque vivait isolée du monde avant la chute du mur, les seuls médias que cette région captait était celle de la RDA. La Saxe reste une région où sont méconnus les étrangers et l’Islam.
Ce que Pegida entend par « non politiquement correct »
Pegida justifie ses positions en se plaçant dans le « non politiquement correct » et son chef Lutz Bachmann ne craint pas les dérapages quand il déclare de façon décomplexée que « les Grünen sont des écoterroristes qui font partie de ceux qui doivent être collés au mur et fusillés comme Claudia Fatima Roth », Vice-Présidente du Bundestag (Grünen).
Pegida surfe sur les réfugiés
L'Allemagne est le pays de l'UE qui accueille le plus de réfugiés. Selon Libération, l’Allemagne est de fait devenue un pays d’accueil. Deuxième derrière les États-Unis (avec 450 000 migrants - la plupart Européens - pour 80 millions d’habitants contre 970 000 migrants pour 315 millions d’Américains), la République fédérale a en outre accueilli cette année plus de 200 000 demandeurs d’asile . Leur nombre connaît une croissance explosive avec les conflits syrien et irakien : en 2008, l’Allemagne accueillait 28 000 réfugiés ; ils étaient 77 000 en 2012 et 127 000 en 2013. Municipalités et Länder sont dépassés par le flux. Si les gens dans leur majorité sont prêts à les accueillir, selon un sondage de TNS paru dans der Spiegel, 65% considèrent que le gouvernement de la grande coalition les ignorent sur cette question. 34% considèrent, tout comme Pegida, que l'islamisation se développe en Allemagne. Ce qui inquiète le ministre de l'Intérieur, Thomas de Maizière, c'est la rapidité avec laquelle le nombre de manifestants se développe en quelques semaines.
Les ambiguïtés de la CDU et d'Angela Merkel
La Grande Coalition CDU-SPD est impuissante face à la montée de Pegida. Il n’existe aucune stratégie. Angela Merkel a tenté une déclaration le 15 décembre après midi : « Il n’y a pas de place pour la haine et la calomnie vis à vis de personnes qui viennent d’autres pays. Chacun doit veiller à ne pas être instrumentalisé par les organisateurs de ces rassemblements ». Beaucoup se demandent pourquoi la chancelière a attendu aussi longtemps pour commencer à réagir. Que veut dire son message ? Faut-il chercher le dialogue avec les manifestants, comme la CSU, le parti bavarois de la droite dur, jumeau de la CDU, le Parti d’Angela Merkel ou comme le déclare le ministre fédéral de l’intérieur, Thomas de Maizière : « Parmi ceux qui participent à ce mouvement, beaucoup expriment leur préoccupation face aux défis de notre temps. Nous devons prendre au sérieux leur préoccupation et dialoguer ».Ou bien apporte t-elle son soutien à ceux qui prennent leurs distances par rapport à Pegida ?
Une chose est sûre, même si la CDU refuse toute alliance avec l’AfD, Alliance pour l'Allemagne, parti populiste et anti-européen, ses positions sont ambiguës face à ce parti qui considère Pegida comme un allié naturel.
L'AfD en embuscade
L'AfD, créé en 2013, fait une ascension fulgurante puisqu'au bout d'un an elle est créditée de 5 à 10% dans les sondages. Elle considère que Pegida est légitime et qu'il n' y a pas de néo-nazis au sein de Pegida. Un haut responsable de l'AfD a participé à la toute dernière manifestation de Pegida à Dresde, de sorte que l'AfD, au départ anti-européen, devient donc très vite, de ce fait, un parti xénophobe, voir un parti de la loi et de l'ordre. Ce rôle était joué avant par la CSU bavaroise, mais lorsque celle-ci a lancé à son congrès que toute personne qui veut vivre durablement en Allemagne doit parler allemand à la maison, elle fut la risée de tous, y compris du parti d'Angela Merkel.
Pendant ce temps, l'AfD tente d'attirer à elle le potentiel de Pegida, les responsables de l'AfD au niveau des différents Länder sont présents dans les différentes manifestations de Pegida. Mais pour beaucoup d'adhérents de l'AfD, le fait de participer aux manifestations de Pegida ne suffit pas, il faut aller plus loin : pourquoi pas une coopération ? L'AfD dans les institutions et Pegida dans la rue.
Le SPD, les Grünen et die Linke : entre constat d'échec et demande d'une nouvelle politique d'immigration
L'augmentation rapide du nombre des manifestants et la dureté des débats autour de la politique d'immigration et des réfugiés, conduisent les Sociaux-Démocrates du SPD et les Grünen à demander une nouvelle politique d'immigration, car depuis des décennies la CDU affirme que l'Allemagne n'est pas un pays d'immigration, position qui n'est plus tenable. Le ministre fédéral de la justice, Heiko Maas (SPD), en déclarant qu’il n’ a aucune compréhension pour ces manifestations qu’ils considèrent comme une honte pour l’Allemagne, prend clairement ses distances vis à vis de son collègue de l’intérieur (CDU). Pour le SPD, l'Allemagne profite fortement de l'immigration et est une grande chance au regard, notamment des problèmes démographiques.
Pour Cem Özdemir, chef des Grünen, l'Allemagne, avec les manifestations de Pegida, fait face à une véritable épreuve. Il demande à Angela Merkel de reconnaître clairement que l'Allemagne est un pays d'immigration. Il critique le fait que les organisateurs et les manifestants refusent de parler aux médias allemands, mais préfèrent s'adresser à la radio russe « Russia Today ». Quand on connaît les liens de Vladimir Poutine avec les mouvements d’extrême droite, rien d’étonnant. Par ailleurs, il appelle les manifestants, à regarder très précisément avec qui ils défilent.
Gregor Gysi, président du groupe de die Linke au Bundestag, a fait un constat cinglant en plénière du Bundestag, le 18 décembre, en s'adressant à la chancelière et à chacun des présidents des groupes politiques du Bundestag : « L'existence de Pegida fait que nous avons tous échoué, tous, y compris moi ». Donc une responsabilité collective.
Et donc....
Les expériences d'autres pays européens, comme la France, montrent ce que peut provoquer un parti d'extrême droite qui a le vent en poupe : un virage à droite du paysage politique où tous les partis s'y trouvent confronter, une attitude dure contre les demandeurs d'asile et les étrangers, le repli national et le rejet de l'Union Européenne.
Considérer la montée d'un mouvement d'extrême droite comme une responsabilité collective ? Oui, beaucoup devraient d'ailleurs s'en inspirer, au risque de sinon, de ne pas s'attaquer aux causes.
19 décembre 2014, Francoise Diehlmann
Source : Mediapart