Des enfants apatrides, qui ne vont pas à l'école, mais exercent une activité professionnelle, telle est la réalité d'un grand nombre d'enfants de migrants travailleurs ou réfugiés, au pays du Cèdre, selon une étude publiée par Insan.
Les enfants de migrants travailleurs ou réfugiés sont particulièrement désavantagés au Liban. Ils n'ont pas accès aux même droits ni aux mêmes services que les petits Libanais. Ils sont aussi plus sujets à la maltraitance, à la discrimination et aux abus, sous différentes formes. C'est la conclusion à laquelle a abouti une étude sur l'enfance non protégée, conduite par l'association Insan sur 90 enfants dans la banlieue nord de Beyrouth, (Nabaa, Bourj Hammoud, Dora, Sin el-Fil et Dékouané), avec le soutien de l'organisation Australian volunteers international et le financement de Planet wheeler foundation.
L'étude, la première en son genre, porte le titre « L'enfance non protégée : les expériences d'enfants libanais et non libanais au niveau des abus, de la maltraitance et de la discrimination ». Elle a été publiée la semaine dernière lors d'une conférence-débat à l'Université La Sagesse (ULS), placée sous le patronage du ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas. Une conférence qui s'est déroulée avec la participation notamment du représentant du Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies, Renaud Detalle, de la secrétaire générale du Conseil supérieur pour l'enfance, Rita Karam, représentant le ministre des Affaires sociales, du doyen de la faculté de droit de l'ULS, Maroun Boustany, et du directeur de l'association Insan, Charles Nasrallah.
Les papiers d'identité, un véritable défi
Le déséquilibre entre les enfants de migrants et les petits Libanais commence dès l'inscription aux registres d'état civil. Alors que la totalité des enfants libanais sont enregistrés à leur naissance, obtenir une identité n'est pas une évidence pour les enfants de migrants : 63 % des enfants de migrants en situation irrégulière et 10 % des enfants de migrants en situation régulière ne sont pas enregistrés. Cette nouvelle forme d'apatride, en nette augmentation avec les nouvelles naissances chez les réfugiés syriens, est due à la pauvreté, mais aussi au refus des administrations concernées d'inscrire des enfants de parents sans papiers. Elle a des conséquences dramatiques pour l'enfant : Non seulement ce dernier n'a accès ni à l'éducation ni aux soins médicaux, mais il risque d'être arrêté et placé en détention, ou d'être victime de trafic.
Même déséquilibre dans l'accès à l'éducation où la moitié des enfants de migrants seulement ont accès à l'éducation, qu'ils soient enregistrés (56,7 %) ou non (55,2 %), alors que 100 % des petits Libanais sont scolarisés. Le Liban a pourtant ratifié la convention relative aux droits de l'enfant, qui spécifie que tous les enfants, sans distinction, ont droit à l'éducation. « La société libanaise a pour devoir de protéger tous les enfants présents sur le territoire », insiste à ce propos Charles Nasrallah. « Cette étude constitue un document essentiel pour les hommes politiques, les décideurs, la société civile et les institutions éducatives spécialisées, et tous les responsables afin d'assurer une protection à l'enfance », poursuit-il.
Dans cet état des lieux, 50 % des enfants de migrants en situation régulière et 23 % des enfants de migrants en situation irrégulière travaillent, contre seulement 4 % d'enfants libanais appartenant à la même catégorie socio-économique. « Le statut de migrant augmente le risque de travail de l'enfance », note à ce propos la porte-parole d'Insan, Roula Hamati. Elle affirme aussi que la totalité des enfants non scolarisés de migrants en situation irrégulière exercent un travail.
Négligence, violence ou abus sexuels
Qu'ils soient en situation régulière ou irrégulière, ces enfants sont aussi plus susceptibles que les petits Libanais d'être victimes d'abus et de violence, et plus particulièrement de négligence ou d'abus sexuels. Les conditions de vie précaires et le pourcentage élevé de familles monoparentales étant des facteurs facilitant les abus.
« Certes, les méthodes d'éducation sont souvent en cause, même si la totalité des parents interviewés assurent qu'ils ont recours à une discipline non violente, indique Mme Hamati. Ces derniers estiment de manière générale que la sanction physique est acceptable et efficace comme moyen d'éducation. » Quant à la négligence, elle est souvent associée aux conditions de logement des parents : 50 % des parents en situation régulière et 13,8 des parents en situation irrégulière ont avoué qu'ils négligent leurs enfants, contre seulement 7,7 % de parents libanais, montre l'étude. Il faut dire que les familles de migrants n'ont pas accès aux services sociaux et aux soins médicaux dont bénéficient les Libanais.
Bien que partielle, car effectué sur un échantillon de 90 enfants dans la banlieue nord de Beyrouth, « cette étude montre la grande vulnérabilité des enfants au Liban, dans un pays où la protection des enfants n'est pas assurée par l'État et qui ne respecte pas l'État de droit », constate M. Detalle. Le représentant onusien ne manque pas d'observer que le pays du Cèdre a pris du retard dans la présentation au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, à Genève, de son rapport sur les droits de l'enfance. « Nous espérons que cette étude sera utilisée par le gouvernement libanais pour présenter son rapport », précise-t-il, mettant en exergue « les défis posés par la présence de réfugiés syriens, irakiens, palestiniens et soudanais, notamment la violence ou l'enfance apatride ». À cette réflexion, la secrétaire générale du Conseil supérieur pour l'enfance répond que le ministère est en train de rédiger le rapport et que ce dernier, qui aurait dû être présenté en 2011, sera présenté à Genève en 2015.
L'initiative d'Insan poussera-t-elle les autorités à se soucier un peu plus de la protection de l'enfance migrante au Liban ? Rien n'est moins sûr, alors que s'éternise la crise syrienne et que les autorités avouent être dépassées, voire submergées par l'afflux de réfugiés.
24/12/2014, Anne-Marie El-HAGE
Source : lorientlejour.com