Des petits groupes ont commencé à arriver dès 10 h 30, très en avance. Ils sont quelques dizaines d’abord, des pères de famille qui affluent de plus en plus nombreux tout autour de la place, devant la boulangerie, sur le banc ou un peu plus haut, vers l’église, mais sans oser s’approcher vraiment de la mairie.
A Aiguillon, 4 000 habitants dans le Lot-et-Garonne, c’est là que le rendez-vous a été fixé, dimanche 11 janvier à midi, pour la « manifestation Charlie ». L’heure approche, quand une voiture s’arrête et deux couples en descendent. Une des femmes, habillée comme pour un mariage, regarde la place et les groupes qui attendent. « Vous avez vu ? » Elle s’étrangle. « Il n’y a que des Arabes. »
Personne n’aurait l’idée de décrire Aiguillon, aimable bourg agricole, comme une citadelle du racisme. « Je n’ai jamais eu de problème », jure Mehdi Bendahou. Et autour, les autres secouent des fronts têtus, pour répéter : « On est heureux, on marche dans la rue sans peur. » Ils sont arrivés du Maroc dans les années 1970 : 150 familles environ, venus cueillir les fraises ou les kiwis sur le dos des collines, qui ressemblent à un verger à perte de vue. Des Polonais et des Italiens les avaient précédés. Des Ukrainiens et des Portugais les remplacent, payés 3 euros de l’heure, selon des contrats négociés on ne sait comment dans leur pays d’origine…Suite