dimanche 24 novembre 2024 07:29

Gérald Darmanin: «Il ne suffit pas de crier "République et laïcité"»

Le député-maire UMP de Tourcoing en appelle à un «nouveau concordat» et invite son parti à ne pas entretenir la confusion entre immigration et extrémisme islamiste.

Gérald Darmanin, député-maire UMP de Tourcoing, estime que les responsables politiques ne peuvent se satisfaire des appels répétés à la République et à la laïcité. Petit-fils de harkis et catholique pratiquant, il défend le principe d’un nouveau concordat fixant droits et devoirs de toutes les religions, dont l’islam de France. Mardi matin, il a invité ses collègues députés UMP à ne pas mélanger le problème de l’immigration et celui de l’extrémisme islamiste. Il leur suggère notamment de laisser des mères voilées accompagner des sorties scolaires. (Photo AFP)

Les responsables politiques seront-ils à la hauteur du message du 11 janvier ?

Nous étions réunis ce mardi matin entre députés UMP. Certains de mes collègues se sont exprimés sur la laïcité et sur l’immigration. Pour affirmer qu’il fallait être intraitable. Ne plus accepter de compromis. Ils relayaient l’exaspération de la population.

 Une bonne réponse ?

Être ferme oui. Pour tous les républicains, c’est une envie et un devoir. Mais ce n’est pas en criant «République et laïcité» qu’on réglera le problème. Il faut tenter d’analyser la situation objectivement. Sans le prisme de nos idéologies. Je crois d’ailleurs que c’est le message éternel du gaullisme : être programmatique en n’oubliant pas l’essentiel.Les frères Kouachi ont été élevés à l’école de la République. Pendant plus de dix ans. Plus qu’un échec de l’immigration, cette tragédie est un échec de nos institutions et notamment de l’éducation nationale. C’est un problème d’assimilation évident. Jusque dans les écoles primaires, on nous rapporte que des élèves ont refusé de respecter la minute de silence. J’ai été frappé par la très faible présence des jeunes Français musulmans dans les manifestations de dimanche. Leurs aînés, leurs parents étaient là, en, revanche; chez moi, à Tourcoing, je les ai vus pleurer, chanter la Marseillaise, donner des signes forts d’appartenance à la République. Ce n’est pas un problème d’immigration, mais un problème de générations.

Comment surmonter cet échec ?

Nous avons, en France, de 4 à 6 millions de musulmans. Dans leur immense majorité pacifiques, horrifiés par ce qui vient de se passer. Je crains qu’avec une cinquantaine d’actes islamophobes officiellement recensés ces derniers jours, le ministère de l’Intérieur ne soit très en dessous de la réalité. Notre priorité, cela doit être d’aider les musulmans qui veulent vivre dans la République. Nous devons aider à construire enfin un islam des lumières. C’est notre responsabilité. Je propose la création d’une commission d’enquête parlementaire pour repenser la place des religions dans la république. Elle est sans doute aussi importante qu’une commission d’enquête sur les faits barbares qui se sont déroulés. Si l’on veut éviter la guerre civile, il faut que la République se donner les moyens de conclure un contrat avec l’islam. Nous devons réfléchir à un nouveau concordat incluant tourtes les religions.

Votre famille politique, l’UMP, ne perd pas une occasion de dénoncer les ravages du communautarisme ?

Le paradoxe, aujourd’hui, c’est que ceux qui passent leur temps à dénoncer le communautarisme sont les premiers à décrire la France comme une addition de «communautés» : communauté musulmane, communauté juive. Ce n’est pas en s’arc-boutant sur une laïcité punitive qu’on y arrivera. Le danger, ce sont les imams radicalisés, les mosquées dans les caves. Faut-il vraiment s’acharner sur les voiles des mamans d’élèves qui accompagnent les sorties scolaires à la tour Eiffel ? Les images de la famille endeuillée du policier Ahmed Merabet, de ces femmes voilées réconfortées par le chef de l’Etat devraient tous nous faire réfléchir. Est-ce vraiment les voiles des parents de ce policier qui posent problème à la République ? Ne nous trompons pas de combat.


Pourquoi un concordat ?

Quand Bonaparte a fait le Concordat, en 1801, la question religieuse était une poudrière dans notre pays. La Révolution avait conduit à une scission entre une église constitutionnelle et une église réfractaire. Pour Bonaparte, la stabilité de l’État passait par la reconnaissance du pluralisme religieux. Le consistoire juif se met en place à cette époque grâce à lui. Bonaparte a fait cela pour discuter avec un clergé juif. L’islam est une religion nouvelle en France à l’échelle de notre pays. C’est pourquoi nous avons besoin d’un nouveau concordat. Ce sera très difficile. Beaucoup plus qu’au temps de Bonaparte bien sûr. Mais il faut s’y mettre. Dans les synagogues, on dit une prière pour la République. Pourquoi pas dans les mosquées? La France doit discuter de tous ces sujets avec les religions. Sans tabous ni angélisme mais avec respect et confiance.

Que faudrait-il écrire, dans ce contrat?

Dire ce que nous attendons des musulmans de France. Affirmer ce que la République peut faire pour que chaque croyant puisse vivre libre. Dire quelle est notre conception de la laïcité. Ce concordat signifierait clairement ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. L’objectif, c’est une concorde nationale dans laquelle une affaire comme celle de la crèche Baby Loup n’aurait pas lieu d’être. Il faut sortir de notre schizophrénie. De nombreux maires n’ont pas d’autre choix que de participer un peu honteusement, par des voies détournées, au financement des lieux de culte. Des «arrangements» existent partout : à l’hôpital, dans le privé, dans les associations, dans la fonction publique. Est-ce digne de la République de cacher cette religion que l’on ne saurait voir ?Est-il normal qu’il n’y ait en France que deux établissements scolaires musulmans sous contrat? Le lycée Averroès de Lille, qui a d’excellents résultats, vit largement de subventions publiques comme tous les établissements sous contrat et ses enseignants sont payés par l’Etat. N’y a-t-il pas là matière à la réflexion nationale ?

Des initiatives ont pourtant été prises, notamment par Nicolas Sarkozy, pour créer une autorité représentative des musulmans de France, le CFCM…

Mais pour que cette autorité soit vraiment représentative, il faut lui en donner les moyens. On ne peut pas se contenter de l’activer par intermittence, en l’invitant à prendre un café avec le chef de l’Etat quand ça va mal.

Des raisons d’espérer?

Le peuple français est extraordinaire. 4 millions de personnes dans la rue et pas de débordements racistes dans ces rassemblements. Et même les curés et le peuple de droite qui marchent aussi pour Charlie Hebdo. Ce peuple a les moyens, les ressorts pour régler le problème. Nous sommes en guerre, oui, mais cette guerre il faut la mener avec toute la population, et donc avec les musulmans. Le dessin de Luz, à la une de Charlie Hebdo, je le vois comme un message de paix. C’est une provocation douce qui a quelque chose de constructif.

14 janvier 2015,Alain AUFFRAY

Source : Libération

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