dimanche 24 novembre 2024 07:56

Entre frustrations et dénis, le malaise des musulmans de France (ENTRETIEN)

Peu nombreux dans les manifestations après les attentats en France, les musulmans sont pris entre sentiment de frustration et déni que ces actes, qu'ils ont réprouvés dans leur immense majorité, puissent avoir quelque rapport que ce soit avec l'islam, selon l'intellectuel Rachid Benzine.

La communauté musulmane est estimée en France à 3,5 millions, la plus importante d'Europe. Elle vient pour l'essentiel des anciennes colonies françaises: Algérie, Maroc, Tunisie, Sénégal, Mali notamment, ainsi que de Turquie.

Le président François Hollande a souligné jeudi que "les Français de confession musulmane ont les mêmes droits, les mêmes devoirs que tous les citoyens".

"Ils doivent être protégés. La laïcité y concourt, elle respecte toutes les religions", a-t-il insisté, alors que plusieurs mosquées ont été vandalisées après ces attentats commis par trois jeunes Français se réclamant du jihadisme.

Mais pour Rachid Benzine, universitaire franco-marocain interrogé jeudi par l'AFP, de nombreux musulmans "ressentent une inégalité de traitement" et une forme de "déni" de la société française à leur égard.

Entre humiliations devant les regards "condescendants" dans un pays qui "n'a pas encore fait le deuil de son empire colonial", crainte de "stigmatisation" et sentiment que "la laïcité ne tient pas compte de leur sensibilité religieuse", certains peinent à trouver leur place, souligne-t-il.

Et cela "même chez des gens totalement intégrés, qui ont réussi, qui ne sont pas spécialement religieux et en viennent à penser à quitter la France".

Les publications des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo ont été mal vécues "y compris par ces gens, cadres, intellectuels, qui ont le sentiment qu'on ne tient pas compte de leur paysage intérieur".
Certains ont retourné le slogan "Je suis Charlie", affiché dans toute la France en solidarité aux victimes de l'attentat contre l'hebdomadaire, en proclamant sur les réseaux sociaux "Je ne suis pas Charlie".
S’interroger sur le succès du jihadisme

Le Premier ministre Manuel Halls a souligné mercredi que le délit de blasphème, réprimé dans des pays musulmans mais également de tradition chrétienne, n'est pas et "ne sera jamais" dans le droit français. Les conditions de la naissance de la laïcité en France, marquée de longs conflits avec l'Église catholique, expliquent l'attachement des Français à la liberté de critiquer voire de moquer la religion.

Rachid Benzine, auteur d'un livre sur "les nouveaux penseurs de l'Islam", pointe "un autre déni" qui concerne les musulmans eux-mêmes et notamment leurs représentants. "Ils disent que ces attentats, ou les actes de Daesh (groupe État islamique en Irak), n'ont cela n'a rien à voir avec l'islam, ce qui est faux".
"Ces actes sont aussi une expression de l'islam contemporain", nourri par "la montée du wahhabisme ou des Frères musulmans qui remplacent l'islam traditionnel", analyse l'islamologue. Le jihadisme "n'aurait pas ce succès s'il n'y avait pas l'adhésion d'une partie des musulmans du monde à ce qu'il représente".
Le président français a rappelé que les musulmans sont les "premières victimes du fanatisme, du fondamentalisme, de l'intolérance".

"L'islamisme radical s'est nourri de toutes les contradictions, de toutes les influences, de toutes les misères, de toutes les inégalités, de tous les conflits non réglés depuis trop longtemps", a souligné François Hollande.

Rachid Benzine met aussi l'accent sur les "frustrations" des jeunes tentés par le jihadisme, dans une société qui ne leur a pas donné leur place. Mais il appelle aussi les musulmans à être "capables d'autocritique, d'analyser ce qui ne va pas, ce qui a été raté dans l'enseignement de l'islam".

"Il existe une histoire sacrée de l'islam mais pas un vrai travail sur l'histoire de l'islam", relève-t-il.

"Ces jeunes sont des analphabètes religieux. Ils sont dans une rupture de la tradition musulmane et n'ont pas les outils pour répondre aux défis auxquels ils sont confrontés".

15 janv. 2015,Martine NOUAILLE

Source : AFP

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