L’historien Benjamin Stora plaide pour une ‘’bataille culturelle’’ et une transmission de la connaissance au profit des populations issues de l’immigration faute de quoi la France risque de s’installer, dans la durée, dans une ‘’guerre des mémoires’’.
Stora redoute une ‘’prise de distance’’ entre les citoyens français. En témoigne, explique-t-il dans une interview au Monde, la ‘’faible présence’’ des jeunes de banlieues dans la ‘’marche républicaine’’ du 11 janvier contre le terrorisme.
"Certains groupes étaient présents place de la République, mais j’ai été surpris : j’ai vu là un risque de prise de distance nette à l’intérieur même de la population française’’.
Spécialiste du Maghreb et de l’histoire des décolonisations, Benjamin Stora préside, depuis aout 2014, le conseil d'orientation du Musée de l'histoire de l'immigration.
Entre autres vocations, cet établissement public ambitionne de raconter l’immigration sous toutes ses facettes et de cultiver le savoir sur ce pan de la société française, ses cultures, ses imaginaires et son histoire.
‘’L’aspect décisif, argue-t-il, c’est la crise de la transmission culturelle dans une partie importante des immigrations d’origine maghrébine. Toute la richesse d’une histoire islamique antérieure (langue, cultures, civilisation) reste peu connue dans les nouvelles générations. Ne survivent que des bribes de connaissances religieuses, apprises sous l’angle du combat à livrer contre l’autre, entretenues comme des slogans, diffusées par Internet avec une extraordinaire rapidité’’.
Exposés à la moisson de tous acabits qui foisonne sur la Toile, les jeunes issus de l’immigration sont la proie de risques patents. Benjamin Stora souligne à ce propos que la connaissance par Internet ‘’se fait bien souvent individuellement, en rupture avec les traditions familiales et religieuses’’.
Et l’historien de tirer l’alarme. ‘’La fabrication identitaire de ces jeunes se construit par bricolage idéologique, fascination pour la violence, mise en accusation des autres sans concevoir sa propre responsabilité’’.
Cette crainte n’est pas irrémédiable aux yeux de l’historien qui y voit une alternative : ‘’si l’on ne veut pas d’une guerre des mémoires, il faut mener une bataille culturelle pour connaître l’histoire, celle de la France et des "pays du Sud". C’est une bataille longue, difficile, complexe, mais il n’y a pas d’autre choix. Sinon, existe le risque de l’enfermement, de la séparation"’.
"On ne peut ignorer la diversité des communautés"
A la question de savoir si l’école et les enseignants sont armés pour mener cette bataille de la connaissance, l’historien pointe un déficit dans ce registre.
"C’est là le grand problème. Les enseignants ne sont pas assez formés en la matière. Il y a de façon générale un déficit de connaissance des pays du Maghreb chez nos élites intellectuelles. Ce désarmement fait que les élèves et les étudiants d’origine maghrébine ont parfois le sentiment qu’ils connaissent mieux leur histoire que leurs maîtres. C’est une alternative républicaine à cette histoire communautarisée, qui depuis trente ans fait la part de plus en plus belle aux aspects religieux, qu’il faut proposer".
Pour Benjamin Stora, si "l’aspect sécuritaire" constitue une réponse immédiate à apporter à une opinion publique inquiète, le "’véritable chantier" consiste, dans la longue durée, a renforcer le ‘’modèle républicain’’ qui nécessite une redéfinition.
"L’enjeu est de préserver les principes républicains, comme la laïcité, tout en s’adressant aux minorités. C’est une question d’équilibre, mais il faut tenir les deux bouts d’une même histoire ", estime l’historien.
"On ne peut ignorer la diversité des communautés, mais on ne peut pas non plus basculer dans le communautarisme. C’est tout l’objet de la bataille culturelle qui est à mener. Si on y renonce, c’est la guerre des mémoires qui l’emportera. Ce qu’il faut éviter’’
2015/01/20, Youssef Zerarka
Source : huffpostmaghreb.com