Soyons clairs. L'attentat du 7 janvier 2015 est un acte politique. Les assassins n'ont pas tiré à l'aveuglette, sous le coup de la colère. Ils ont tué méthodiquement, pour obéir à un ordre: celui de punir les auteurs des caricatures de Mahomet. Pour cela, ils se sont entraînés, armés, équipés, organisés.
Ils n'étaient pas étrangers. On n'aurait pas pu les déchoir de leur nationalité. Les assassins de Charlie Hebdo et de l'Hypercasher de Vincennes étaient tous Français. Ils étaient nés en France, élevés dans les écoles de la République, écroués dans les prisons de la République, suivis par les services de sécurité de la République. Ils étaient des enfants de la République.
Cet attentat signe l'échec d'un modèle de société qui s'appuie sur une approche exclusivement assimilationniste, en niant les spécificités des Français, qui sont tous porteurs d'héritages culturels différents. Des héritages qui dérangent les nationaux-conservateurs, que les récents attentats placent plus que jamais aux portes du pouvoir.
Nous devons tirer toutes les conséquences de cet échec. Ce modèle -notre modèle- est devenu une fabrique de frustrations, une usine à produire de potentiels ennemis de l'intérieur, tant la bascule de la frustration à l'action terroriste paraît d'une incroyable rapidité.
Pour quelle raison l'attaque menée contre l'une des valeurs fondamentales de la démocratie, la liberté d'expression, s'est-elle produite ici et non à Berlin, Stockholm ou Londres? Est-ce un coup de malchance? On peut penser que non et que cette attaque ne doit rien au hasard.
À la manière dont la Norvège s'est remise en question au lendemain du massacre du 22 juillet 2011, la France doit après les attentats du 7 janvier 2015 questionner son modèle assimilationniste et exclusif
Au lieu de colporter l'idée que l'immigration est la source du délitement de nos valeurs, regardons de l'intérieur la fabrique à frustrés que notre modèle républicain a créée, avec comme premiers cobayes les enfants de l'immigration!
Les terroristes d'aujourd'hui sont les enfants du regroupement familial, dont les parents ont été appelés sur notre territoire pour rebâtir la France et dynamiser son économie. L'immigration a permis et amplifié les trente glorieuses, qui ne se seraient pas produites sans elle. Mais une fois que ces immigrés n'ont plus été utiles, la France en a fait, du jour au lendemain les responsables des "40 piteuses". Un matin de 1972, 80% de ces travailleurs réguliers se sont retrouvés dans l'illégalité à la faveur d'une simple circulaire! Qui se souvient, par exemple, de Saïd Bouziri? Un étudiant parmi d'autres, menacé d'expulsion avec sa femme enceinte?
Comment intégrer des populations en les logeant dans des foyers de travailleurs précaires, des cités de béton, enclavées, construites à la va-vite pour recouvrir ce qui était bel et bien des bidonvilles?
Comment intégrer des citoyens considérés comme de seconde zone, issus de cités-dortoirs, pour qui l'Etat a organisé l'assistanat comme un système de contrôle social? Comment intégrer des populations à qui l'on promet puis refuse alternativement le droit de vote depuis 1978?
Comment intégrer des populations à qui l'Ecole impose le mythe de "nos ancêtres les gaulois" et refuse obstinément de proposer l'enseignement de l'Arabe en seconde langue étrangère, en pleine mondialisation?
Comment intégrer des enfants dont on brise systématiquement les rêves d'études longues, au profit d'une orientation forcée pour un métier subi?
Comment intégrer des enfants qui après 60 ans sont encore considérés comme des immigrés de la troisième génération, que l'on peut menacer de déchoir de leur nationalité, alors même qu'ils sont nés en France?
Notre modèle est un modèle d'hypocrisie, qui est totalement obsolète à l'heure de la mondialisation et au regard de ce qu'est la France de 2015.
Ce modèle a été pensé par et pour des élites monoculturelles et monocultuelles. Des élites atteintes de cécité depuis des décennies sur ce qu'est la France, en l'occurrence une nation bigarrée qui s'est toujours conjuguée au pluriel.
Ce modèle où l'Etat décrète qui est un bon musulman et qui ne l'est pas, à l'aune d'un concept de laïcité à géométrie variable, en fonction de son statut social. Ce modèle égalitariste qui n'engendre que du communautarisme ethnoracial, de l'islamophobie et de l'antisémitisme?
Ce modèle qui a lentement et progressivement, "dé-s-intégré" des hommes et des femmes livrés en pâture à des fondamentalistes très organisés, puissants financièrement et totalement rompus aux dernières techniques du marketing, et en particulier du marketing digital.
À force de frustrations, on a cultivé l'ignorance
Pour sortir de cette spirale infernale, nous devons apporter une réponse sécuritaire d'envergure, sans concession, coordonnée sur le plan international. Et après? Après, la société Française doit accepter l'idée d'une introspection profonde et partagée de son modèle républicain dont les valeurs Liberté, Egalité et Fraternité sont à deux, voire trois vitesses.
La journée historique, de concorde nationale du dimanche 11 janvier 2015, faisant de la France le phare du monde l'espace d'une journée, a été une première étape de cet après.
La seconde étape doit être un échange ouvert et apaisé sur le nécessaire enrichissement de notre identité française, pour que celle-ci soit conforme à la réalité du pays.
La troisième étape réside dans un partage original et revisité de nos valeurs communes sur les bancs de la petite école, en tenant compte des héritages culturels et cultuels multiples, fruits de notre histoire commune, faite d'ombre et de lumière.
La quatrième étape est celle d'un patriotisme retrouvé. Pourquoi laisser à d'autres fondamentalistes notre drapeau, la fierté d'être français et la définition de qui serait un (bon) Français et qui ne le serait pas?
La cinquième étape, sans doute une des plus complexes, tient en un mot: l'égalité. L'ascenseur social est panne, donc nos enfants prennent le maquis! Ce que nous attendons c'est l'égalité des chances pour tous. Il n'y a que ce type d'égalité des chances qui permettra enfin à notre pays d'adapter son modèle à sa réalité sociologique.
Il n'y a qu'une égalité des chances pour tous, une égalité réelle, associée aux 4 étapes précédentes qui conduiront notre pays vers une ère post-raciale. Une ère post-raciale accessible si l'on considère également l'apport positif d'une société multiculturelle, et pas seulement l'apport positif de l'équipe de France de foot.
À nous de choisir, même si je crois pouvoir affirmer avec joie, que Dimanche 11 janvier 4 millions de français ont choisi!
21/01/2015, Alain Dolium
Source: huffingtonpost.fr