La journée du 1er mars 2010 pourrait être exceptionnelle en France. Et pour cause : un collectif compte mobiliser la population immigrée en Hexagone pour un boycott durant 24 heures.
L'objectif est de montrer que sans l'immigration et les immigrés, l'économie française aurait du mal à tourner. Ne rien acheter, ne rien vendre, et ne pas aller au travail pour ceux qui le pourront, voilà en gros ce que tous les immigrés devraient faire le 1er mars prochain. C'est tout au moins ce que les membres du collectif espèrent. Derrière cette initiative, une journaliste franco-marocaine. Nadia Lamarkbi voulait, pendant longtemps, réagir face aux clichés concernant les immigrés en France. «Notre message est clair et basique: la France a besoin de son immigration pour avancer. L'immigration est une richesse qu'il faut savoir estimer à sa juste valeur. Enfin, nous voulons pour chacun, quelle que soient ses origines, le respect et la dignité. Il est triste qu'après tant d'années, tant de vagues de migrations différentes, il faut encore rappeler ces évidences», déclare Nadia Lamarkbi pour qui, les propos largement controversés du ministre français de l'Intérieur, Brice Hortefeux lors de l'Université d'été de l'UMP (Union pour un mouvement populaire, parti au pouvoir actuellement en France), ont été la goutte qui a fait déborder le vase.
En effet, dans une vidéo qui a fait le buzz pendant plusieurs jours sur Internet, le ministre français apparaît en lançant à l'égard d'un jeune homme d'origine arabe : «Il en faut toujours un.
Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes». Hortefeux avait déclaré par la suite que ses propos avaient été déviés de leur vrai sens. Mais c'était trop tard. La polémique avait déjà fait des émules sur la scène politique à gauche comme à droite en France.
Mais pas uniquement, des citoyens ordinaires issus notamment de l'immigration, qui n'ont pas forcément une appartenance politique, ont également décidé d'agir en appelant à «une journée sans immigrés». Une idée originale qui a déjà fait ses preuves sous d'autres cieux. Une expérience similaire avait en effet eu lieu outre-atlantique lorsque les populations d'origine hispanique ont lancé un mouvement de boycott économique le 1er mai 2006 aux Etats-Unis. Résultat : près de deux millions de personnes ont manifesté à Los Angeles, la capitale de la Californie.
Reproduire la même expérience en France, est donc l'objectif du collectif.
Ces derniers affirment que les préparatifs vont bon train. Aujourd'hui, le mouvement est présent dans une trentaine de grandes villes françaises. Des opérations de tractages ont également été organisées à destination des immigrés mais également à tous les autres ressortissants français.
Car même si la population immigrée demeure le cœur de cible, le message du collectif s'adresse également à toutes les personnes sensibles à l'importance de l'immigration. «On ne porte pas de revendications explicites.
Nous ne réclamons rien. Nous sommes citoyens français, membre de la société civile», a affirmé Peggy Derder, membre du collectif dans une conférence de presse à l'Assemblée nationale en novembre dernier.
L'idée du boycott n'en finit toujours pas de séduire de nombreuses personnes. Le groupe du collectif sur Facebook, compte déjà plus de 54.000 membres depuis sa création.
Un blog et un site web sont également disponibles sur la toile pour informer sur les activités et les objectifs du collectif à quelques semaines seulement de la date fatidique.
Une date qui n'est d'ailleurs pas anodine puisqu'elle marque le cinquième anniversaire de l'entrée en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), qui introduit le concept de l'immigration «choisie».
Pour l'heure, les responsables français n'ont pas eu de réactions officielles à part Eric Besson, ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale qui a répondu à une question sur cette journée au Talk Orange-Le Figaro, en disant : «Ne créons pas des épouvantails qui n'existent pas. Ce n'est pas la peine d'inventer une stigmatisation».
Questions à: Nadia Lamarkbi, fondatrice du collectif
«24 heures sans nous»
• On est à moins de deux mois du jour J, comment se déroulent les préparatifs pour la journée du 1er mars ?
Les préparatifs avancent et vont s'accélérer dans les semaines qui suivent. Nous avons su créer des liens avec différentes associations de manière à diffuser l'information et ainsi à toucher le plus grand nombre. Nous avons également commencé à rallier de nombreuses associations et syndicats. D'un autre côté, nous avons lancé des séances de tractages sur les marchés dans différentes villes de France puisque aujourd'hui, nous sommes présents dans plus d'une trentaine de grandes villes. Nous allons également commencer à développer notre visibilité par une grande campagne d'affichage.
• Comment avez-vous eu cette idée ? Et quel a été l'événement ou le facteur déclencheur ?
Le collectif est né à la suite des propos prononcés en septembre dernier par Brice Hortefeux lors de la journée des jeunes UMP à Seignosse. Ces propos et la pathétique tentative de justification ont cristallisé notre engagement, alors même que pour la majorité nous n'avons pas d'expérience du militantisme politique ou associatif. Ces propos,qui n'ont été que la suite tristement logique de nombreux précédents, sont révélateurs d'un climat ambiant.
• Pourquoi avez-vous choisi la date du 1er mars ?
Le 1er mars 2010, en référence à l'entrée en vigueur de la loi CESEDA : ce «Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile» réduit l'immigré à un objet économique. Symboliquement, nous ne pouvions trouver de meilleur jour pour agir et démontrer que notre présence est bénéfique économiquement et contribue à la croissance. Nous sommes des salariés et des entrepreneurs comme les autres.
• Est-ce que vous vous attendez à une forte participation de la part des immigrés ?
Si la mobilisation est à la hauteur de l'écho et des réactions que nous avons reçues, en effet, il y aura une très forte mobilisation. De plus, notre mouvement s'attache à agir sur le levier économique. Il ne s'agit plus seulement de manifester en lançant des slogans mais bien d'agir chacun à son propre niveau tout d'abord en ne consommant pas et en évitant de travailler, si c'est possible.
Cette nouvelle forme d'action séduit notamment ceux qui ne sont pas coutumiers du militantisme.
Source : Le Matin