Hassan Bousetta, sociologue liégeois et sénateur PS de 2010 à 2014, appelle les musulmans à se lever contre l'antisémitisme. Il annonce la création d'un mouvement autour de la devise " L'union fait la force ". Mais il prévient : la lutte contre le radicalisme ne pourra être gagnée tant que les discriminations perdureront.
Le Vif/L'Express : "Aux tueurs, nous disons qu'ils nous trouveront en travers de leur chemin, au côté de la liberté", proclame un appel que vous avez cosigné, dans Le Monde, avec l'écrivain Salman Rushdie, l'islamologue Rachid Benzine, la réalisatrice Nadine Labaki et d'autres encore. Quel était le sens de votre démarche ?
La plupart des signataires ont des racines arabes. Beaucoup sont parisiens. Il y a des Franco-marocains, des Franco-algériens, mais aussi des gens qui vivent à Rabat ou à Tunis, ainsi que des Palestiniens, des Turcs, des Libanais. Toute une élite qui se sent piégée dans le débat actuel - les salafistes d'un côté, Eric Zemmour de l'autre. Des gens raisonnables qui croient dans une certaine modernité et qui seront nécessaires quand une parole sage pourra revenir, car je crains qu'on soit maintenant dans une période où la peur va prendre le dessus.
Ce texte induit l'idée que les intellectuels musulmans doivent se désolidariser publiquement des djihadistes. C'est une position très controversée.
Il y a une ambiguïté, je ne le nie pas. Depuis vingt ans, tout le monde dit : ne soyez pas communautaires, intégrez-vous à titre individuel. Et puis, quand ça foire, il faudrait qu'on soit tous communautaires. C'est pour ça que je défends une autre position : si vous ne voulez pas vous désolidariser en tant que musulmans, faites-le en tant que citoyens, en tant qu'êtres humains, mais parlez ! La position qui consisterait à dire "on n'est pas concernés", elle est inefficace, et même dangereuse. Parce qu'on est tous concernés ! Aujourd'hui, le message qu'émet la communauté musulmane n'est pas audible pour la société majoritaire. Une grande partie de la population ne comprend pas pourquoi les musulmans ne se lèvent pas plus fort.
Comment sortir de l'impasse ?
Il n'y aura pas de réponse durable sans réforme. Notre société génère encore énormément de discriminations, et c'est un terreau qui alimente la violence... Il reste du chemin à parcourir avant d'atteindre une situation d'égale dignité pour tous les habitants de ce pays. Néanmoins, je reste persuadé qu'on ne doit pas bouger sur le plus fondamental, c'est-à-dire la Constitution. Je pense que c'est dans les symboles partagés qu'on doit aller chercher une réplique. On a besoin de créer un mouvement autour de l'article 193 de la Constitution, qui contient la devise du pays : "L'union fait la force." Dans le contexte du XIXe siècle, c'était l'union entre catholiques et libéraux. Je propose de détourner cet unionisme pour en faire le socle d'une nouvelle association. Article 193, ça veut dire qu'on rejette la violence, qu'on accepte la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Le mot "musulman" ne se trouve pas dans le premier texte que j'ai rédigé, délibérément. Tu es musulman, tu pratiques la religion, pas de problème. Seulement, ne viens pas dans le débat public pour défendre la foi. Il y a un cadre juridique, un cadre constitutionnel, et ça suffit pour résoudre les problèmes.
Marine Le Pen en France, les manifestations anti-islam en Allemagne, Aube dorée en Grèce... Cette effervescence de l'extrême droite annonce-t-elle une lame de fond plus forte encore ?
Je crois que les idées de droite vont commencer à dominer dans de larges pans de la société. La situation actuelle va ranimer les milieux d'extrême droite. Pour contrer cette vague-là, il va falloir faire front. Quand les fronts populaires ont émergé, dans les années 1930, c'était déjà suite à de l'agitation d'extrême droite... La commotion que nous venons de subir va provoquer une demande d'ordre et de sécurité, à la fois identitaire et physique. Face à ça, la gauche, qui a comme vocation d'être généreuse et de combattre le repli, va devoir reculer comme la vague, pour ensuite revenir en force. Alors viendra le temps du front populaire. Dans le futur, la lecture du monde risque d'être assez binaire. Certains brandiront une opposition entre la civilisation et la barbarie. Le danger, c'est alors de se regrouper autour de traditions réinventées, autour de valeurs chrétiennes, nationalistes. Je pense au contraire que la ligne de front doit être définie sur la base d'oppositions politiques, et non de communautés imaginaires. Le front populaire, c'est un instrument pour défendre une perspective progressiste dans le débat national, mais en parfaite harmonie avec le sud de la Méditerranée.
29/01/15, François Brabant
Source : levif.be