dimanche 24 novembre 2024 06:38

Immigration irrégulière : les exigences de Paris et de Berlin

Dans une lettre que "Le Point" s'est procurée, Bernard Cazeneuve et son homologue allemand demandent à Bruxelles de prendre ses responsabilités.

Paris et Berlin entendent prendre les rênes de la politique migratoire européenne. Dans une lettre commune adressée au commissaire aux Migrations et aux Affaires intérieures, Dimitris Avramopoulos, les ministres de l'Intérieur français et allemand, Bernard Cazeneuve et Thomas de Maizière, demandent la mise en place d'un dispositif pour surveiller les mouvements de "bateaux suspects à proximité des côtes turques et chypriotes". Au coeur du projet, la formation d'une équipe active 24 heures sur 24 au sein de l'agence européenne de surveillance aux frontières, Frontex. Objectif : améliorer la rapidité d'intervention des États lorsque l'un de ces bateaux est repéré.

Les deux ministres motivent leur demande par l'utilisation croissante depuis le mois de septembre de "vieux cargos" à des fins d'immigration irrégulière. Début janvier, les bateaux marchands l'Ezadeen et Blu Sky M, transportant à leur bord près de 1 200 migrants au total, avaient jeté l'ancre dans des ports turcs ou sous contrôle turc à l'est de Chypre.

Une demande difficile

Mais cette requête se heurte d'ores et déjà à plusieurs difficultés. D'ordre juridique, d'une part. L'agence européenne de surveillance aux frontières Frontex, qui coordonne depuis 2004 les équipements et le personnel des États membres dans des opérations de surveillance et conduit l'opération Triton en Méditerranée, n'a pas le mandat nécessaire pour intervenir dans la zone concernée. Seul le territoire chypriote peut demander la mise en place d'une telle opération. Paris et Berlin ne peuvent obliger l'île à prendre en charge la conduite d'une opération européenne de surveillance et, de surcroît, les migrants rescapés qui se trouvent à bord des navires.

D'autre part, le financement de ce dispositif pose problème. Pour renforcer cette surveillance aux frontières, Paris et Berlin veulent utiliser la réserve budgétaire de 20 millions d'euros de Frontex, dont le budget annuel ne dépasse pas 90 millions d'euros. Ce budget supplémentaire avait été arraché par l'agence aux États membres, réticents à délier les cordons de la bourse. Selon une source proche des institutions, un tel montant ne suffira "jamais" à couvrir les besoins exigés. D'autant que cette réserve a déjà été planifiée pour la mise en place d'autres opérations. Ces quelques millions ne pourraient ainsi pas servir à élargir les ressources de l'opération de surveillance Triton en Méditerranée, qui manque de moyens pour intercepter et sauver les migrants, après l'arrêt de l'opération de sauvetage italienne Mare Nostrum.

La Turquie sommée de garder les navires à son port

Par ailleurs, les ministres pointent directement du doigt Ankara et somment principalement la Turquie et les autres pays de transit en Méditerranée, "en bénéficiant le cas échéant de la coopération technique de l'Union, d'empêcher les départs depuis leurs côtes". Noeud du problème : la législation turque, jugée par les Européens trop clémente vis-à-vis des trafiquants et de la vente des navires marchands par les sociétés maritimes turques. Confrontée à une pression migratoire croissante et à des risques d'instabilité politique, la Turquie pourrait cependant voir d'un très mauvais oeil cette requête européenne, qui semble intimer au pays de garder les migrants chez lui.

Le commissaire Dimitris Avramopoulos dispose de quatorze jours pour répondre à cette lettre franco-allemande qui préfigure la révision de la politique migratoire européenne, attendue pour le printemps.

05-02-2015, Loreline Merelle

Source : lepoint.fr

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