Le film de Marcel Trillat "Des étrangers dans la ville", qui a été suivi d’un débat, a montré la manière indigne dont la France traite les migrants.
Comment accueillons-nous les migrants ? La question impliquait le « nous » collectif. C’était le thème du débat organisé samedi après-midi après la diffusion du film les Étrangers dans la ville. Un documentaire tendre, pédagogique et éclairant de Marcel Trillat pour donner la première réponse : mal. France 2 l’avait diffusé, début décembre, à un horaire indigne et après avoir imposé, comme il le dira, une coupe dans son film dans le propos d’Anicet Le Pors. Au côté du documentariste, la rencontre réunissait, autour de l’animateur David Eloy, rédacteur en chef d’Altermondes, Catherine Wihtol De Wenden, sociologue, militante du droit à l’immigration (Ligue des droits de l’homme), et Céline Poletti, déléguée pour l’Île-de-France de la Cimade, association qui accompagne les migrants dans ce qu’il faut bien appeler un parcours du combattant, comme le film de Marcel Trillat le montre parfois avec humour, toujours sans colère.
Les mots et les chiffres claquent : l’accueil légal des étrangers en France représente 0,33 %, la France est derrière la Tchéquie. Les sans-papiers, inchangés depuis trente ans, sont 400 000 en France. « On ne peut pas rester insensible à la misère du monde », dit cette fonctionnaire de la police aux frontières au Mesnil-Amelot, centre de rétention administrative de l’aéroport de Roissy, au-dessus duquel les avions tournent, comme des vautours, à guetter le migrant. Celui à qui la France aura ordonné une OQTF, une obligation de quitter le territoire français. Et que l’absence d’un papier remis par le centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs, le Cerfa, empêche de trouver un travail légal. Pas de papiers, pas de contrat ! Catherine Wihtol De Wenden, chercheuse au CNRS, s’est dite frappée par la dimension d’enfermement dont témoigne le film en son début et en sa fin. « Depuis 1990, l’Europe a choisi de traiter l’immigration par le sécuritaire. On est passé de la main-d’œuvre économique à la sécurité. Et depuis 1998, les régularisations se font au fil de l’eau. » Ce qui n’empêche pas des employeurs d’utiliser cette main-d’œuvre. « C’est l’une des formes de l’esclavage moderne. Quand on est sans-papiers, on est en deçà de la citoyenneté. » Et la militante interroge : « Combien coûtent ces contrôles, qui sont juste de la dissuasion ? » À son tour, Cécile Poletti dénonce « ce système de gestion de l’immigration par l’enfermement dissuasif ». « La France, ajoute-t-elle, est le pays qui expulse le plus : 45 000 personnes par an, loin devant l’Espagne avec 9 000 personnes. » Et, précise-t-elle, « 50 % des migrants expulsés le sont sans avoir vu un juge ». Sans droits. Jusqu’au bout.
9 Février 2015, Claude Baudry
Source : L'Humanité