L'horreur a fait place à la colère après la mort par hypothermie de 29 migrants en Méditerranée, décédés pour la plupart après leur sauvetage, un drame redouté depuis la fin de l'opération de sauvetage Mare Nostrum.
Ils étaient 105, tous des hommes, souvent jeunes, originaires d'Afrique sub-saharienne, entassés à bord d'une petite embarcation ballotée sous la pluie, par des vagues de huit mètres et des rafales de vent de 120 km/h, à 110 milles au sud de la petite île italienne de Lampedusa.
Ils ont donné l'alerte dimanche en début d'après-midi, mais aucun bateau commercial ne se trouvait alors dans les parages. Quant aux bateaux militaires qui patrouillaient auparavant dans la zone, dans le cadre de l'opération Mare Nostrum, ils n'étaient plus là.
Mise en place pendant l'automne 2013 après deux naufrages ayant fait plus de 400 morts près de Lampedusa et de Malte, cette opération, qui coûtait 9 millions d'euros par mois, a progressivement cédé la place à partir de novembre à Triton, une opération nettement moins ambitieuse de contrôle des frontières sous l'égide de l'agence européenne Frontex.
Dimanche, les deux navires militaires de Triton, islandais et italien, étaient en ravitaillement, le premier à Malte et le second en Sicile.
Ce sont donc des vedettes des gardes-côtes de Lampedusa qui sont parties au secours des migrants. Dans des conditions dantesques, il leur a fallu six heures pour arriver sur les lieux et embarquer les migrants frigorifiés, puis encore plus pour les acheminer à Lampedusa.
Et faute de place, la plupart ont dû rester à la proue des deux vedettes, avec juste une couverture pour se protéger du vent, de la pluie et de la houle. Sept étaient déjà morts à l'arrivée des secours, et 22 ont succombé pendant le trajet, selon les garde-côtes italiens. Mais selon un porte-parole de l'Organisation internationale des migrations (OIM), les 29 - 15 Ivoiriens, sept Maliens, 5 Sénégalais, un Guinéen et un Mauritanien - étaient bien vivants quand ils ont été récupérés par leurs sauveteurs.
"Avec Mare Nostrum, il aurait été possible de mettre ces gens au chaud et au sec, de leur donner à manger", a regretté auprès de l'AFP Flavio Di Giacomo, porte-parole de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) en Italie, tout en saluant le "sauvetage héroïque" des gardes-côtes de Lampedusa.
'Faire plus'
"Je suis mort de froid", et "ceux qui sont venus me sauver ont risqué leur vie", a tweeté la maire de Lampedusa, Giusi Nicolini, en hommage aux victimes et aux secouristes, à la façon des messages de soutien à Charlie hebdo en France.
Très vite, après ce drame, c'est la colère qui l'a emporté, et d'abord à l'encontre des passeurs. "Il ne s'agit pas d'un accident mais d'homicides. Faire partir les gens avec une mer pareille revient à les exposer à une mort certaine", ont ainsi dénoncé les gardes-côtes.
Mais la fin de Mare Nostrum a également été mise en cause. "Horreur au large de Lampedusa. Des gens sont morts non pas dans un naufrage, mais de froid. Voilà les conséquences de l'après-Mare Nostrum", a réagi sur Twitter la présidente de la Chambre des députés italiens, Laura Boldrini.
Le commissaire européen chargé des migrations, Dimitris Avramopoulos, a de son côté exprimé ses "profonds regrets" et reconnu qu'il fallait "faire plus" contre les trafiquants.
Car, à Lampedusa et ailleurs, on redoute de nouvelles tragédies, alors que plus de 3.200 migrants ont péri en mer en 2014 et que les crises en Syrie, mais aussi en Erythrée ou au Nigeria ne font qu'augmenter la pression.
Selon le ministère italien de l'Intérieur, 3.528 migrants sont encore arrivés en janvier, près de 40% de plus qu'en janvier 2014, une année record avec un total de plus de 170.000 arrivées.
"Cela confirme que l'afflux de réfugiés n'était pas du à Mare Nostrum", a assuré M. Di Giacomo. Plusieurs pays du Nord de l'Europe, que les migrants tentent de gagner une fois en Italie, ont souvent dénoncé l'opération comme un "pont vers l'Europe".
10 fév 2015,Fanny CARRIER
Source : AFP