A près de 4.000 km de chez eux, les gardes-côtes islandais engagés dans l'opération européenne Triton patrouillent au large des côtes italiennes pour lutter contre les trafiquants et, si possible, sauver des vies.
En pleine tempête, le "Tyr" tangue dangereusement à la poursuite d'un cargo suspect. A bord, Andri Johnson se prépare à une opération délicate et à la possibilité de découvrir encore une fois des centaines de migrants clandestins.
Cette fois-ci, c'est finalement une fausse alerte. Mais le marin islandais de 26 ans au visage poupin est déjà monté trois fois à bord de l'un de ces cargos chargés de misère humaine.
Début janvier, il a participé au secours de 359 migrants abandonnés par l'équipage de l'"Ezadeen" au large des côtes italiennes. A bord, il a vu des familles désespérées entassées dans des cages prévues pour du bétail, serrant leurs enfants terrifiés et affamés.
La pression migratoire est toujours plus forte: après une année 2014 record qui a vu plus de 170.000 migrants clandestins débarquer en Italie, les autorités ont enregistré en janvier 3.528 arrivées, soit 40% de plus qu'en janvier 2014.
Si la grande majorité des migrants embarquent toujours de Libye à bord de bateaux de pêche ou de pneumatiques, les trafiquants ont aussi augmenté leurs bénéfices en chargeant de vieux cargos partant souvent de Turquie ou d'Egypte.
Andri Johnson est monté à bord de trois de ces cargos surchargés et la situation en Syrie ou en Erythrée, les deux pays d'où proviennent plus de la moitié des migrants, ne laisse présager aucune atténuation des flux.
"C'est l'hiver et on peut mettre plus de monde sur un seul bateau. Il y a une centaine de personnes sur les petits bateaux qui partent de Libye, mais entre 300 et 800 sur les cargos", explique Einar Valsson, capitaine du Tyr.
'Une zone gigantesque'
"Il faut être désespéré pour partir sur un petit bateau, surtout en hiver. C'est dur de voir ces familles qui attendent d'être secourues. Cela doit être pire de récupérer des corps. Ce boulot ne ressemble à rien de ce que j'ai fait jusqu'à présent", reconnaît Andri Johnsen.
Face à ces trafiquants de plus en plus organisés, une vingtaine de pays participent depuis novembre à l'opération "Triton" engagée par Frontex, l'agence européenne de protection des frontières, au large de l'Italie.
Contrairement à "Mare Nostrum", qui visait surtout à sauver des vies, "Triton" est avant tout une opération de contrôle, en général limitée aux eaux territoriales, pour laquelle les pays participants fournissent quelques bateaux mais surtout des hélicoptères, des avions et des experts pour enregistrer les migrants.
Dimanche, quand des migrants sur un bateau en perdition au large de la Libye ont appelé au secours, le Tyr et son équipage rompu aux sauvetages des chalutiers en difficulté dans l'Atlantique Nord étaient en ravitaillement à Malte.
Les petites vedettes mal équipées des gardes-côtes qui sont intervenues n'ont pas pu empêcher 29 migrants de mourir de froid. Elles n'avaient pas non plus les moyens de repérer les trois autres bateaux partis en même temps, et dont 300 passagers sont désormais portés disparus.
"La Méditerranée est une zone gigantesque, nous parlons de plus de 2,5 millions de km2, c'est donc impossible de savoir tout ce qui s'y passe", explique Izabella Cooper, porte-parole de Frontex.
Après une nuit de mission, le Tyr revient au port de Pozzalo, dans le sud de la Sicile, où les 18 membres d'équipage dévorent jambons et fromages fumés pour le déjeuner avant d'enfiler à nouveau leurs gilets de sauvetage pour une série d'exercices.
A l'abri du vent, Asegeir Gudjonsson s'accorde cependant une petite pause-café, en confiant dans un sourire fatigué: "Enchaîner 30 à 40 heures de travail en sachant qu'on a sauvé des vies ? C'est géant, il n'y a rien de comparable".
Ella IDE
11 février 2015
Source : AFP