"Pourquoi est-tu venu en France, papa ? Tu veux dire pourquoi j'ai quitté le Maroc ?" est le titre du premier roman du professeur universitaire franco-marocain Youssef Chiheb, qui nous y livre un témoignage passionnant voir tranchant sur la quête d'identité et le sens de l'exil.
Présenté, dimanche à Casablanca, dans le cadre des activités du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME) à la 21ème édition du Salon international de l'édition et du livre (SIEL), ce petit bouquin de 115 page, paru chez la maison d'édition Alfabarre, se veut une psychothérapie dont l'auteur, paradoxalement, est le patient, alors que sa plume prétend être "le psy".
Le livre est né d'une simple question formulée par sa fille de 10 ans, Majda "rayon de soleil dans le froid de Paris dans ce ciel encombré de nuages et chargé de particules fines dues à la pollution", a confié l'auteur à la MAP.
Cette question, pourtant, anodine a été ainsi le déclencheur d'un voyage autobiographique retraçant la succession des migrations en France à partir du tout début des années 40, a relevé ce professeur associé à l'université Paris XIII Sorbonne, qui estime que chaque "MRE", d'ailleurs il n'a jamais été d'accord avec cette dénomination qu'on colle aux émigrés marocains, se doit de se poser afin de s'apaiser ou de fermer une plaie, jamais cicatrisée.
Cette plaie qui s'appelle l'immigration, l'exil, l'expatriation, constitue à ses yeux une déchirure identitaire et un fort sentiment de culpabilité autour de la capacité du migrant à transmettre la mémoire, la marocanité, l'islamité et le lien sacré l'unissant au pays des ancêtres, le Maroc.
Que l'on soit en littérature ou dans la vie réelle, les notions ou le concept de départ, d'exil, de nostalgie, sont difficiles à cerner et complexes, note-il, ajoutant qu'il raconte dans son roman la succession des migrations, premièrement dans les années 40 pour libérer la France des nazis, puis dans les années 60 et 70 pour la construction de la France et participer à son essor économique puis de l'immigration universitaire.
Toutefois, l'auteur insiste sur le fait que la vraie question qui se pose ici n'est plus pourquoi il est venu en France mais pourquoi il a dû quitter le Maroc. Deux questions dont les réponses ne sont pas les mêmes.
"Je raconte dans ce livre le Maroc politique (les émeutes de Casablanca de 1965, la disparition de Ben Barka, les tentatives de coup d'Etat de 1971 et de 1972 ainsi que la Marche Verte, etc.)", relève ce docteur en géographie et expert en matière de développement et des mutations géopolitiques du monde arabe.
Il y consacre aussi une place de choix à un fait marquant de sa vie d'adulte, le décès de son père, qui fut accompagné d'une absence de perspectives dans le pays qu'il l'a vu naître un jour de 1960.
"Je suis parti pour entamer mes études doctorales, pour exercer le plus beau métier du monde à l'université. Je suis retourné au Maroc avec l'avènement de SM le Roi Mohammed VI, mais avant tout je suis venu en France pour te mettre au monde ma petite lumière", ainsi fut sa réponse à la question formulée par Majda.
Le roman met en lumière les raisons qui expliquent en partie le départ de milliers de Marocains à l'étranger, mais aussi il interpelle toute la société marocaine sur sa vision idyllique de l'immigration, selon laquelle cette dernière est synonyme de richesse matérielle, mais aussi d'une destruction identitaire, explique-t-il, insistant sur la nécessité de savoir avant tout d'où on vient pour pouvoir savoir où on va.
Chiheb parle aussi des années de plomb, des émeutes de 1981 de Casablanca, d'une révolution culturelle incarnée par un jeune groupe de musiciens casaouis, les mythiques Nass el Ghiwane, comme il parle de sa scolarité au lycée français, d'Abdelkrim Ghellab et de Ghassan Kanafani avec son roman "Retour à Haïfa", de l'Université Hassan II et du Raja de Casablanca, entre autres évènements ayant marqué à jamais cet écrivain dont l'oncle est mort pour la France en 1943 à la bataille de Monte Cassino, en Italie.
"Maintenant tu sais pourquoi je suis venu en France, pourquoi, j'ai quitté le Maroc. Tu es belle (Majda) en tant que Française, tu seras encore plus belle quand tu auras pris conscience d'où je viens, d'où tu viens", ainsi résume-t-il son attachement viscéral à une terre appelée le Maroc.
Idriss Tekki et Mohammed Benmassaoud
16 fév. 2015
Source : MAP