Nazir Gazemi, 33 ans, se souvient avec effroi de la "vie avec les rats" qu'il a menée pendant près de deux ans dans un des camps de rétention pour immigrés clandestins qu'aimerait aujourd'hui fermer le gouvernement Tsipras.
Nazir vient d'en sortir avec l'aide d'un avocat et d'une association. Afghan, il tente de s'occuper de ceux qui dorment encore dans les abris-conteneurs, mal chauffés l'hiver, peu climatisés l'été, du camp d'Amygdaleza, à 25 km au nord d'Athènes, le "Guantanamo grec" disent ceux qui y sont passés et les militants des droits de l'homme.
Ali Ashraf, Bangladeshi de 23 ans, a aussi passé près de deux ans derrière les barbelés grecs. A sa sortie du camp de Corinthe, à 80 km au sud d'Athènes la semaine dernière avec une lettre de la police en poche, son premier réflexe a été d'y revenir le surlendemain. Les bras chargés de victuailles pour ses amis restés à l'intérieur. Les policiers à l'entrée ne l'ont pas laissé livrer ses paquets. Et Ali a dû repartir.
"Ici, la nourriture n'est pas très bonne" confirme Alphonse, Sénégalais de 31 ans (son prénom a été changé à sa demande), qui s'y morfond depuis sept mois, sans nouvelle du juge.
Joint via téléphone portable -qu'il a pu garder - Alphonse raconte que le pire a été les deux semaines suivant son arrestation en juillet, à Patras, d'où il comptait partir pour l'Italie avec de faux papiers: "Quinze jours entassés dans un commissariat à dormir par terre. Un Kurde et un Afghan ont essayé de se suicider".
4.500 personnes enfermées
La Grèce ruinée, devenue porte d'entrée de l'immigration illégale dans l'Union européenne a, sous la pression de ses partenaires européens, créé et agrandi quatre grands centres de rétention, Corinthe, Amygdaleza, Xanthi et Drama. En 2012, sous le précédent gouvernement, la durée maximale des rétentions administratives a été étendue à 18 mois.
Les ONG dénoncent les conditions de détention, même si certains camps, comme Corinthe, ont été rénovés avec de l'argent européen. En décembre, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la Grèce pour "traitement inhumain et dégradant" de deux migrants, un Iranien et un Irakien. Des grèves de la faim ont eu lieu pour demander des améliorations.
Conformément à ses promesses électorales, le gouvernement de gauche radicale Syriza élu fin janvier a fait voeu de fermer les camps ou de les transformer en centres d'hébergement, ouverts. Il chiffre à 4.500 le nombre de personnes qui y sont enfermées. "Beaucoup plus", rétorque Mario Avgustados de l'association antiraciste "Deport racism" qui trouve que les choses ne vont pas assez vite.
Samedi, 200 à 300 manifestants sont partis d'Athènes en bus pour demander la fermeture immédiate du camp d'Amygdaleza. Ils se sont introduits à l'intérieur en chantant "les centres de rétention, jamais, nulle part", sous les applaudissements des migrants enfermés derrière des barbelés, et aux cris de "Syriza, Syriza".
"Le ministre a dit qu'il avait besoin de 100 jours pour fermer ce camp, qui est le pire, mais la plupart des gens ici n'ont commis aucun crime, et nous voulons qu'il soit fermé immédiatement", a indiqué à l'AFP Mario Avgustados.
Libérations discrètes
Selon lui, le retard viendrait des contrats signés avec des sociétés privées par le gouvernement précédent pour la gestion du site (restauration, circuits téléphoniques, caméras..) qui ne peuvent être dénoncés du jour au lendemain.
Néanmoins, au cours des derniers jours, des migrants ont commencé à être libérés. Dans la plus grande discrétion. Par groupes de trois ou quatre. Beaucoup veulent quitter le pays.
Le gouvernement communique peu sur ce sujet complexe, qui lui inspire des pensées antagonistes.
Ainsi, le partenaire de Syriza au sein de la coalition au pouvoir, les Grecs indépendants (droite souverainiste) sont favorables à un contrôle très rigoureux de l'immigration.
D'autres découvrent aussi à quel point appliquer le règlement européen Dublin 2 -- qui impose au pays d'entrée du migrant dans l'UE de s'occuper de sa demande d'asile -- est contraignant pour un pays en difficulté comme la Grèce.
Au point que dimanche soir sur la télé Skaï, le ministre de la protection du citoyen Yannis Pannousis est allé jusqu'à évoquer, "à titre personnel", la possibilité de "casser (l'espace) Schengen, et de donner un permis de séjour et de voyage aux clandestins, afin qu'ils se déplacent librement dans l'UE".
Les associations des droits de l'homme en Grèce craignent aussi que le gouvernement n'ait ainsi du mal à mettre en oeuvre ses promesses, dans un pays où le parti néonazi, anti-immigrés Aube dorée est encore la troisième force politique.
24 fév 2015,Isabel MALSANG
Source : AFP