Très attendu après ses déclarations sur les « ghettos », Manuel Valls a décliné vendredi 6 mars une série de mesures sans surprise pour les banlieues.
« Apartheid », « ghettos », nécessité d’une « politique du peuplement ». Manuel Valls n’avait pas de mots assez forts, après les attentats et la mobilisation historique du 11 janvier, pour dénoncer la ségrégation urbaine dans les quartiers sensibles. Inévitablement, un tel discours a provoqué de grandes attentes.
Un « plan » encourageant la mixité sociale dans les cités HLM de France devait suivre, complétant l’arsenal de mesures déjà annoncées sur la sécurité et l’éducation aux valeurs de la République.
Vendredi 6 mars, le premier ministre a donc convoqué pas moins des seize membres de son équipe à un « comité interministériel des villes »pour s’accorder sur une feuille de route. Au final, il en ressort un catalogue de décisions qui pour l’essentiel avaient déjà été dévoilées (service civique renforcé, « réserve citoyenne » dans les écoles…) et l’affirmation de nouvelles orientations sur le logement social. Le tout sans grands moyens financiers : environ 330 millions d’euros annuels d’ici à 2017, dont un tiers pour les associations des quartiers.
« ARRÊTER D’AJOUTER DE LA PAUVRETÉ À LA PAUVRETÉ »
Il ne s’agit pas d’un énième « plan banlieue », a insisté le premier ministre.« Tout ne se réglera pas à coups de millions supplémentaires », soutient-il. Pour lutter contre la ghettoïsation, Manuel Valls propose tout d’abord d’« arrêter d’ajouter de la pauvreté à la pauvreté ». Désormais, la construction de HLM devrait être limitée là où ce type d’habitat représente déjà plus de 50 % du parc.
Autre décision : les ménages pauvres ne devraient plus se voir attribuer un logement dans les 1 500 quartiers classés en « politique de la ville », pour ne pas concentrer les difficultés sur ces quartiers. Une orientation qui inquiète la Fondation Abbé Pierre : la moitié des familles jugées prioritaires au titre du Dalo vivent sous le seuil de pauvreté.
« A priori, l’idée est séduisante mais une grande partie de l’offre à bas coût est située en zone prioritaire. Il ne faudrait pas encourager le mal-logement au nom de la mixité sociale » met en garde Christophe Robert, délégué général de l’organisation.
Le succès de cette politique tiendra donc à la capacité des pouvoirs publics à créer des logements sociaux accessibles pour les plus démunis en dehors des territoires relégués. Pour ce faire, Manuel Valls compte sur différents leviers.
DES PRIMES ET DES CONTRAINTES POUR LES MAIRES
D’un côté, la « carotte » : une prime de 2 000 € par logement aux « maires bâtisseurs » qui accroîtront de 1 % leur production de HLM par rapport à l’année précédente. De l’autre, le « bâton » : pour contraindre les maires récalcitrants à respecter l’obligation de porter à 25 % la part de HLM dans leur ville, les préfets pourront signer les permis de construire à leur place.
La possibilité existe déjà aujourd’hui, mais elle n’est utilisée que pour les grandes Opérations d’intérêt national. « L’utiliser pour produire du logement social, pourquoi pas », glisse Jean-Alain Steinfeld, directeur général d’Osica, important bailleur social en banlieue parisienne. « Sur le papier, cela fonctionne. Là où j’ai un doute, c’est que je ne connais pas un promoteur prêt à maintenir un projet contre l’adhésion d’un maire. »
Autre idée, enfin, revoir le système d’attribution des HLM. En effet, il y a logement social et logement social. La gamme est si large que 75 % des Français sont éligibles à une habitation relevant de ce parc. Les tarifs sont fixés avant même la construction des bâtiments, en fonction du montage financier de l’opération.
Après, ils ne bougent plus, sauf à la hausse, en fonction de l’inflation. Les maires qui ne veulent pas faire d’efforts pour accueillir les populations les plus fragiles ont donc toujours la possibilité de rester dans les fourchettes de prix les plus hautes. Les moins chers, eux, se trouvent dans les zones sensibles.
« QUE CELA NE SE FASSE PAS AU DÉTRIMENT DES CLASSES MOYENNES »
Le gouvernement veut donc que les bailleurs sociaux puissent minorer les loyers dans les zones privilégiées et ainsi les rendre accessibles aux plus pauvres. En compensation, ils pourront les rehausser dans d’autres secteurs.
Le père Bernard Devert, fondateur d’Habitat et humanisme, prône cette solution depuis longtemps : « Enfin, on va prendre en compte le revenu des personnes qui occupent les HLM. Cette décision va dans le bon sens, à condition que cela ne se fasse pas non plus au détriment des classes moyennes. Car elles aussi ont été touchées par la crise. »
Le secteur HLM n’est pas hostile au projet mais tient à garder sa liberté et veut s’assurer que son équilibre financier ne s’en retrouvera pas fragilisé.« On ne doit pas aller vers la soviétisation de notre parc dans ses attributions et son développement », estime Jean-Louis Dumont, président de l’Union sociale pour l’habitat.
Le patron de cette fédération, qui regroupe quelque 4,5 millions de logements, est catégorique : « La recomposition sociale qu’on nous demande relève de la dentelle. Nous avons l’expertise. Qu’on nous laisse travailler en confiance », demande-t-il.
Repères
Un renfort éducatif dans les quartiers
Sur le volet éducatif, le comité interministériel de vendredi a également confirmé une série de mesures déjà connues :
- Modification de la carte de recrutement scolaire pour les collèges pour favoriser la mixité scolaire. Avancement plus rapide des enseignants après un passage en établissement difficile. Création d’un poste d’infirmier et un poste d’assistant social dans chaque collège en Réseau d’éducation prioritaire (REP).
- Montée en charge de la scolarisation des moins de trois ans dans les zones prioritaires (50 % d’ici à 2017, avec la mobilisation de 800 enseignants). Renfort de l’apprentissage du français en maternelle.
- Offre de formations courtes dans les quartiers sensibles et une certification « grande école du numérique ».
9/3/15, JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS
Source : La Croix