Chiffres chocs, réponse radicale. Frontex, l'agence européenne pour la surveillance des frontières, dévoilait le 4 mars que les «franchissements illégaux» ont triplé entre 2013 et 2014. Face à cet afflux, l'Europe semble tentée de verrouiller ses frontières extérieures. Catherine de Wenden, directrice de recherche au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), spécialiste des migrations commente la situation.
Pourquoi cet afflux de migrants illégaux en Europe?
Les crises aux portes de l’Europe se sont multipliées: Irak, Afghanistan, Syrie, mais aussi la corne de l’Afrique (Somalie, Erythrée). Les portes d’entrées se sont diversifiées: le sud de l’Espagne, l’île italienne de Lampedusa, la Grèce, Malte… Autre changement: des pays tampons, qui contrôlaient les frontières pour le compte de l’Europe, sont devenus des passoires, comme la Libye. De même, le pourtour méditerranéen, notamment la Turquie et le Maroc font face à un afflux massif de migrants et n’arrivent plus à filtrer.
Est-ce que l’Europe peut faire face à cet afflux?
Elle n’a pas les bons instruments. En Méditerranée, l’opération Mare Nostrum [qui a permis de sauver 150.000 personnes en un an] ne suffit pas pour porter secours à ces migrants qui risquent la noyade. Il y aura de plus en plus de morts si on continue comme ça. Et ce flux migratoires va poursuivre sa hausse. Avec l’extension de la zone d’influence de Daesh, encore plus d’habitants du Moyen-Orient vont se mettre en route.
Est-ce que les choses changent justement?
Ce qui évolue, c’est la volonté politique interne dans des pays européens. La montée de l’extrême droite, notamment dans le nord du continent, a un rôle essentiel dans la fermeture des frontières. Mais cela fait vingt-cinq ans qu’on tente de réduire l’immigration. Et ces chiffres prouvent que les restrictions ne servent à rien. La grande erreur de l’Europe, c’est de croire que cette politique dissuasive a un impact sur la volonté de partir. Les migrants fuient des catastrophes, des guerres, la faim, ils ne regardent pas s’il y a des visas ou non…
Comment alors mieux gérer les flux migratoires?
Il faut que les pays de départ se portent mieux, et ça ne se règle pas avec des grillages et des contrôles. Quand un pays envahit l’Irak ou l’Afghanistan, impose un embargo à l’Iran, cela génère des drames pour les populations locales et donc des déplacements. Souvent dans les pays voisins. Sur les 4 millions de Syriens qui ont quitté leur pays, 1,5 million se sont installés en Turquie et 1,5 million au Liban et en Jordanie. Plutôt que de bloquer le passage à des personnes, essayons de négocier la paix. Et d’assortir notre aide financière et nos relations économiques de conditions liées aux flux migratoires. Un pays, s’il est mal géré, gangréné par la corruption, s’il n’offre aucune perspective à sa jeunesse, ne devrait pas faire partie de nos partenaires commerciaux. L’Europe doit prévoir ces flux au lieu de les subir.
L’Europe est-elle en train de construire une politique migratoire plus cohérente?
Non. Certains pays, notamment du sud de l’Europe, qui sont le plus directement concernés par l’afflux de sans-papiers, se montrent plus généreux que d’autres comme la Suède.
Pourtant, l’Europe a besoin de cet apport de main-d’œuvre…
C’est toute la question. Si l’Europe ne peut pas accueillir tous les migrants, elle a tout de même besoin de forces vives pour des raisons démographiques. C’est un continent qui vieillit. Mais on fait face à un gâchis énorme: des personnes diplômées attendent des années une régularisation, souvent avec un emploi sous-qualifié. Pendant ce temps, elles sont moins payées, consomment peu et ne valorisent pas leurs compétences. Mieux vaudrait troquer cette frilosité contre une générosité pour mieux utiliser ce potentiel.
12.03.2015, Oihana Gabriel
Source : 20minutes.fr