Edlira enseignait tous les dimanches le grec à des migrants dans une école de Kolonos, banlieue pauvre d'Athènes. Mais la crise a fini par la décider: à son tour, elle part en Allemagne.
Ironie du sort, Edlira quitte un pays qu'elle considère comme "chez elle", où elle est allée à l'école, à l'université, mais dont elle n'a pas la nationalité. Arrivée d'Albanie il y a dix-sept ans, elle reste une étrangère.
"Je parle mieux grec qu'albanais, explique l'infirmière de 28 ans. Mais dans les entretiens d'embauche quand on regarde mon nom - Edlira Xhezairaj- il y a toujours un moment où on me dit : alors, tu n'es pas Grecque ?".
La Grèce, où la citoyenneté relève du droit du sang, compte près de 200.000 enfants et jeunes adultes nés de parents immigrés. Mais comme l'Autriche et le Luxembourg, la Grèce ne prévoit aucune passerelle vers la nationalité pour les immigrés de "seconde génération".
Le nouveau gouvernement de gauche radicale Syriza a néanmoins annoncé sa volonté de leur accorder la nationalité grecque. En attendant, ils disposent d'un permis de résidence valable cinq ans.
Le mari d'Elena Papageorgiou, directrice de l'école à Kolonos, est arrivé il y a quatre ans en Grèce. Ce Kurde d'Irak a demandé à être naturalisé mais attend toujours. "Et pourtant on est mariés", remarque Elena.
"Parle grec ou meurs"
La Grèce est une porte d'entrée dans l'Union Européenne des migrants. Une majorité rejoint illégalement le nord de l'Europe mais d'autres restent coincés en Grèce après avoir été arrêtés par la police ou avoir épuisé leur argent en payant les passeurs.
La Grèce n'a ni les ressources pour régler le problème ni la volonté de le faire, soutiennent les associations de défense des droits de l'Homme.
Les quelques migrants qui veulent faire leur vie en Grèce se heurtent à l'indifférence des autorités et à la violence des sympathisants du parti néo-nazi Aube dorée, troisième force politique du pays. Un disque enregistré par l'un des députés de ce parti, Artemis Matthaiopoulos, "Parle grec ou meurs", témoigne de ce rejet.
Solace Godwin, jeune médecin d'origine nigérienne arrivée en Grèce à l'âge de 14 ans, parle le grec, ce qui n'a pas empêché un patient de l'insulter dans un hôpital du nord du pays. "Ce qu'il te faut c'est Hitler et du savon", lui a lancé cet homme.
Le parlement grec a voté en 2014 une loi sanctionnant les propos racistes, et le mois dernier, l'homme a été condamné à six mois de prison avec sursis. Mais, Solace est convaincue que son cas n'aurait pas été pris au sérieux sans la victoire de Syriza.
Mariée à un Grec, Solace avait entamé une procédure de naturalisation en 2010 quand le gouvernement socialiste avait réformé la loi d'accès à la nationalité. Mais en 2012, le Conseil d'Etat a annulé le texte estimant que le "lien essentiel avec la nation grecque" ne se compte pas en années de résidence ou d'éducation en Grèce.
"Nous sommes comme des réfugiés"
Solace et Elena sentent néanmoins un changement. Après la condamnation de son agresseur, Solace a été touchée par la réaction des habitants de sa ville, Kozani: "Les passants m'arrêtaient dans la rue pour me dire: bravo!".
Elena, a été étonnée du soutien aux réfugiés syriens qui avaient campé en novembre devant le parlement grec. "Des gens leur ont apporté de la nourriture, des couvertures", remarque-t-elle, ajoutant : "Les Grecs ont été réfugiés autrefois, et cela est ancré dans leur mémoire".
Près d'un tiers des Grecs ont des parents ou des grand-parents qui ont été forcés à quitter la Turquie dans les années 1920.
Sayed, 25 ans, est venu d'Afghanistan à 16 ans. "Dans le Nord, où beaucoup de familles ont des ancêtres réfugiés, ils comprennent mieux notre situation", soutient-il avant de conclure : "Mais être considéré comme Grec ? ça n'arrivera jamais".
17 mars 2015,Fiachra GIBBONS
Source : AFP