A Mersin, le quartier de Mezitli s'appelle désormais la "petite Syrie". Dans cette banlieue de la ville turque, les réfugiés syriens se sont résignés à poser leurs valises pour entamer une nouvelle vie, en gardant l'espoir de pouvoir rentrer un jour au pays.
Quatre ans après le début de la guerre civile, entre 200.000 à 350.000 Syriens vivent dans cette cité portuaire d'un million et demi d'habitants du sud de la Turquie.
Les plus déterminés ont fait de Mersin une courte étape de leur intrépide voyage clandestin vers l'Union européenne. Un bref arrêt, le temps d'embarquer sur un cargo de fortune à destination des côtes italiennes ou grecques.
Mais la grande majorité de ces exilés a refusé de remettre son avenir entre les mains de passeurs sans foi ni loi. Pour la plupart issus des classes moyennes, ces Syriens ont fait le choix de vivre à Mersin jusqu'à la fin du conflit qui ravage leur pays, avec la ferme intention d'y reprendre leur vie d'avant, un jour.
Financé par des commerçants prospères venus d'Alep et Lattaquié (nord de la Syrie), un réseau d'associations s'est constitué pour leur mettre le pied à l'étrier.
Parmi elles, le Rassemblement social syrien. "Nous enregistrons les Syriens à leur arrivée et nous leur offrons des services gratuits (...) nous leur parlons des possibilités de vie ici, nous leur facilitons les démarches administratives, nous leur proposons des services d'éducation, de santé", décrit son directeur, Ziad Mnilla.
L'association a pris ses quartiers dans les immeubles flambant neufs de Mezitli, devenu le coeur de la communauté syrienne de Mersin.
Chaque jour, ses employés ou bénévoles accueillent des centaines de personnes. Elle gère directement une école qui offre un cursus syrien à quelque 2.000 élèves, a ouvert une clinique et accompagne pas à pas les réfugiés dans leurs démarches administratives auprès du gouvernement turc, notamment pour l'obtention de permis de travail.
Sollicitées, les autorités locales n'ont pas souhaité rencontrer l'AFP pour évoquer la situation des réfugiés.
A tous ses "clients", l'ONG conseille ouvertement de rester en Turquie plutôt que de prendre le risque d'un voyage clandestin vers l'Ouest. "Nous leur montrons les points communs entre la Turquie et la Syrie, que les deux pays se ressemblent par la religion et la culture, et les dangers qu'il y a en Europe", explique M. Mnilla.
'Trop risqué'
Attablé au café "Lattaquié", un réfugié de 24 ans confie avoir sérieusement envisagé de s'installer à l'Ouest. "J'ai essayé pendant longtemps de rejoindre des pays comme les Etats-Unis, la France ou l'Italie mais tous m'ont refusé un visa", dit-il en tirant sur un narguilé, "comme la Turquie n'en réclame pas, je suis venu ici".
Ce professionnel de santé qui refuse de livrer son identité ajoute qu'il a vite renoncé à grossir les rangs des candidats à l'immigration illégale. "C'est trop risqué, juge-t-il. Je préfère rester en Turquie, mais j'ai aussi très peur d'achever ma vie ici."
Cette peur a fait de la côte sud de la Turquie un point de départ de tous les trafics.
"Avant c'était Izmir (ouest) ou Bodrum (sud-ouest), maintenant c'est Mersin qui est devenue une passerelle pour les migrants", confirme Fulya Memisoglu, qui étudie les filières de l'immigration à l'université Cuklurova de la ville voisine d'Adana.
Selon elle, les passeurs ont affrété depuis septembre dans la région de Mersin une vingtaine de vieux cargos chargés à ras bord de réfugiés qui ont déboursé chacun jusqu'à 6.000 dollars pour un voyage à haut risque vers l'Italie.
"Leurs passagers sont généralement des migrants issus de la classe moyenne, plus éduqués, qui veulent partir pour trouver un travail correspondant à leur formation en Europe", précise l'universitaire.
Depuis l'exode et le sauvetage périlleux de deux de ces rafiots en janvier, les autorités turques ont renforcé leur surveillance et contraint les passeurs à se faire plus discrets.
A Mersin, les candidats au départ sont désormais soustraits à la curiosité de la police et des journalistes dans un complexe d'appartements fermé, protégé par des gardes armés qui empêchent tout contact.
"Ils attendent pendant plusieurs semaines, voire des mois, le feu vert d'un passeur qui les conduira ensuite sur un bateau de fortune", explique Kenan Al-Najari, un homme d'affaires syrien d'Alep aujourd'hui installé à Mersin.
"Nous tentons de leur expliquer que cette voie n'est pas la bonne et qu'à Mersin, en attendant de pouvoir rentrer dans notre pays, nous pouvons vivre en paix", insiste Ziyad Mnilla. Mais certains ne veulent rien entendre. "Ils partent à tout prix", regrette-t-il.
17 mars 2015, Burak AKINCI
Source : AFP