Jean-François Dubost, responsable des questions asile et migrations pour Amnesty International France, met en cause les ambivalences de l’Union européenne et de la France.
En janvier dernier, un rapport de Human Rights Watch a dénoncé des passages à tabac et des aspersions de gaz par les forces de l’ordre contre les migrants de Calais. Des violences policières déjà épinglées par le Défenseur des droits en 2012. Jean-François Dubost, responsable des questions de migrations à Amnesty France, pointe les contradictions des autorités françaises et interpelle l’Union européenne.La situation à Calais est sous tension, point de convergence de logiques de protection des réfugiés et de contrôle migratoire. Situé juste en face du Royaume-Uni, un État à la fois membre de l’Union européenne (UE) mais étranger à l’espace de libre circulation « Schengen », le Calaisis est adossé à une double frontière, naturelle et juridique.
Cet espace, comme d’autres points du littoral, est révélateur de l’état des droits humains aux frontières extérieures de l’UE. Il est aussi symptomatique des errements de la politique migratoire et d’asile de cette Europe. On y croise des personnes qui ont fui la violence des frontières, des centres de détention, de la police en Grèce. On y retrouve les survivants de la Méditerranée, n’ayant pas souhaité s’arrêter en Italie, incapable de leur offrir la moindre perspective d’accueil ou d’intégration. C’est bien l’Union européenne et ses États membres, qui se trouvent ainsi convoqués sur le littoral français.
Des États et des institutions atones, si ce n’est complices, face à la « dissuasion-répression » des autorités grecques. Les fonds européens sont davantage alloués à la consolidation du mur de la forteresse Europe plutôt qu’à celle d’une frontière « sûre » pour les droits humains.
Cette communauté d’États est somme toute théorique, puisqu’aucun n’est venu prêter main-forte à l’Italie pour sauver les vies en Méditerranée, ni initier un quelconque partage des responsabilités pour l’accueil des rescapés.
LES CONTRADICTIONS DE L’ÉTAT FRANÇAIS
En France, la situation à Calais illustre les paradoxes de l’État. Lors d’une visite sur place, à la fin de l’année 2014, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve annonçait l’ouverture d’un centre d’accueil de jour pour les personnes migrantes et réfugiées : « Il y a un problème humain sérieux [avec des] migrants qui relèvent pour beaucoup du droit de l’asile […] ». Ces migrants n’ont « pas pris le chemin de l’exode parce qu’ils étaient fascinés par le code de Schengen » mais « parce qu’ils étaient persécutés dans leur pays ».
Mais quelques mois auparavant, le 2 juillet, plus de deux cents migrants étaient interpellés dans des locaux qu’ils occupaient en guise de refuge. Le préfet du Nord-Pas-de-Calais, Dominique Bur, leur remettait une obligation de quitter le territoire français avant de les envoyer en centre de rétention administrative.
En ce début 2015, l’organisation Human Rights Watch a de nouveau dénoncé les violences policières dont sont victimes migrants et réfugiés dans la région. Comme il l’avait déjà fait lors de la remise de ses conclusions par le Défenseur des droits en 2012 sur ce grave sujet, le ministère de l’Intérieur a botté en touche.
Comment, en l’espace d’à peine six mois, l’État français peut-il se montrer à ce point ambivalent ? D’un côté, lucidité quant à la qualité de réfugiés de facto de ces personnes suvivant à Calais et dans la région, de l’autre, application mécanique de vieux réflexes de « lutte » contre l’immigration irrégulière, source de souffrances, de violations des droits humains.
PENSER L’INTÉRÊT COMMUN
La situation à Calais pourrait-elle être différente ? Oui. Les solutions existent : remettre au cœur des logiques étatiques, et donc des politiques européennes, le respect rigoureux des droits des migrants et des réfugiés. L’ingrédient ultime de ce changement de logique ? Une véritable solidarité européenne entre États. Frontières, territoires, accueil des migrants et protection des réfugiés ne doivent pas être pensés comme une juxtaposition de sujets nationaux mais bien comme un sujet d’intérêt commun. À court ou moyen terme, toute décision prise a des répercussions sur le reste des États membres, ou certains d’entre eux.
Calais l’illustre parfaitement. Les responsables européens sont ainsi sommés, pour réaliser ce changement, d’affronter les discours populistes et discriminants, non pas en les amplifiant mais bien en les confrontant à la réalité humaine de l’exil à nos frontières ainsi qu’à notre responsabilité commune. Solidarité et vérité. Deux conditions qui nécessitent certainement du courage.
Dans quelques semaines, un rapport d’évaluation de la situation à Calais sera remis au ministre de l’Intérieur. Il sera porteur de recommandations. Espérons qu’elles seront courageuses.
19/03/2015, JEAN-FRANÇOIS DUBOST
Source : amnesty.fr