En 2014, l’Europe a enregistré 626 000 demandes d’asile, soit une hausse de 44 % en un an. Parmi eux, 20 % sont des Syriens, selon les dernières statistiques Eurostat.
Laissera-t-on longtemps encore ces familles entières traverser la Méditerranée aux mains de passeurs, pour tenter d’être reconnues comme des réfugiés ? Cette question est sous-jacente dans la lettre que vient d’adresser le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Antonio Guterres. Une missive qui liste une série de propositions concrètes.
Renonçant à attendre une initiative politique qui ne vient pas, las de voir les bateaux sombrer, les Nations unies ont donc pris les devants. Vendredi 19 mars, l’agence de l’organisation internationale ouvrait le débat sur le sujet, à Paris avec la presse. Elle souhaite encourager une large réflexion entre la Commission européenne, les États et d’autres parties prenantes concernées pour répondre aux problèmes de la migration en mer Méditerranée et pour sauver des vies.
En 2014, 3 419 personnes ont péri noyées en tentant de rallier l’Europe. C’est devenu la route la plus dangereuse du monde et elle risque de faire plus de victimes en 2015 qu’en 2014. Depuis le 1er janvier, en effet, quelque 470 personnes ont déjà trouvé la mort ou sont portées disparues, contre 15 sur la même période en 2013.
Par son initiative, le HCR veut réveiller une Europe barricadée derrière ses frontières
Le HCR souhaite donc la mise en place d’une opération européenne d’envergure pour la recherche et le sauvetage en mer. Une opération similaire à Mare Nostrum, l’initiative italienne de sauvetage qui a pris fin l’année dernière, faute de relais pris par l’Europe. La nouvelle version, dont rêve le HCR, serait gérée conjointement par les Etats et n’aurait rien à voir avec Frontex, l’agence de surveillance des frontières extérieures de Schengen, qui sauve occasionnellement des naufragés, mais dont ce n’est pas la vocation première. Pour l’heure, les Etats s’y refusent, car ils estiment que cela créerait un appel d’air.
Le HCR souhaite aussi la mise en place de compensations européennes versées aux compagnies maritimes pour les pertes subies pendant le sauvetage de personnes en détresse. À l’heure actuelle, certains cargos commencent en effet à se dérouter pour ne plus croiser les routes des migrants… C’est en effet sur les gardes-côtes italiens et sur les initiatives privées que repose aujourd’hui le secours.
Répartition inégale
Par son initiative, le HCR veut réveiller une Europe barricadée derrière ses frontières et aider à penser globalement le sujet des migrations. Elle préconise donc une meilleure répartition de l’accueil des demandeurs d’asile entre les États. Aujourd’hui, ces demandes vont très majoritairement vers l’Allemagne et la Suède. La première a enregistré un tiers de demandes en 2014, la seconde 13 %. La France et l’Italie arrivent ensuite avec 10 % chacune, et une baisse de 5 % des demandes pour la France.
Face à cette répartition inégale, le HCR propose une solidarité européenne permettant une répartition plus égale, mais aussi une prise en charge mutualisée des entrants en Europe. L’Italie et la Grèce, principales portes d’entrées dans l’espace Schengen, pourraient, si les recommandations étaient suivies, bénéficier d’un appui pour accueillir les demandeurs d’asile. Aujourd’hui ces deux pays se sentent largement abandonnés et en profitent pour ne pas se plier à toutes les obligations internationales…
Sur le problème plus spécifique des Syriens, et ses 4 millions de réfugiés extérieurs, le HCR propose une initiative pilote. Il préconise le transfert direct des réfugiés secourus en mer vers différents pays d’Europe, selon une répartition équitable. À l’heure actuelle, on est bien loin de l’« équité » puisque la France a par exemple accepté 1 000 réfugiés syriens sélectionnés comme vulnérables par le HCR, quand l’Allemagne a ouvert ses portes à 20 000. Le HCR préconise l’utilisation du parrainage privé, de visas humanitaires et de visas étudiants ou de travail par les États pour faire entrer ces victimes de la guerre. « La proposition du HCR comprend également des efforts visant à assurer que des programmes robustes pour le soutien à l’intégration nationale soient développés, et que les réfugiés reçoivent l’aide dont ils ont besoin pour contribuer à nos sociétés », déclarait récemment Vincent Cochetel, le responsable Europe du HCR.
Toutes ces propositions ont toutes chances de se heurter au mur des raisonnements politiques. En prise avec des opinions publiques de plus en plus frileuses, car victimes du chômage, les gouvernants préfèrent l’immobilisme à des actions qui pourraient être perçues comme un entrebâillement de la porte des entrées légales.
20.03.2015, Maryline Baumard
Source : Le Monde