dimanche 24 novembre 2024 05:10

TERRITOIRES Voyage au cœur des « paysages migratoires »

Les différentes vagues d’immigration depuis la fin du XIXe  siècle ont dessiné une véritable carte des terres d’accueil, portant chacune ses spécificités.

C’est un tour de France hors des sentiers battus. Seuls les initiés sont capables de s’y retrouver. Ces 150 dernières années, les flux migratoires ont bouleversé la physionomie de notre population. À présent, un Français sur quatre a au moins un grand-parent venu d’ailleurs. « Par petites touches impressionnistes, il est possible de reconstituer un paysage des migrations en France, avec des sédimentations très marquées par territoires », explique Catherine Withol de Wenden, chercheuse à Sciences-Po spécialiste des flux migratoires (1).

L’ÎLE-DE-FRANCE REGROUPE 40 % DES IMMIGRÉS

Prenons l’axe Bordeaux-Tours-Paris. L’essentiel des 500 000 Portugais du pays s’y répartit. Les Espagnols, eux, sont plus concentrés à Toulouse et dans le Sud-Ouest. À l’Est, c’est encore autre chose : beaucoup de Turcs, plus ruraux que les Maghrébins, ont investi les petites villes du Haut-Rhin. Ils travaillent principalement dans le forestage, où dans le secteur du bâtiment. Mais on peut aussi retrouver leur présence dans le Limousin, où ils exercent leurs talents agricoles.

Même un océan urbain comme l’Île-de-France, qui regroupe à lui seul 40 % des immigrés, a ses signes distinctifs. L’agglomération parisienne regroupe l’essentiel de la population d’origine subsaharienne. Montreuil (Seine-Saint-Denis), surnommée avec humour « Bamako-sur-Seine », attire la plus grande communauté malienne de France (entre 6 000 et 10 000 personnes). Cela s’explique par la présence ancienne, dès les années 1960, de travailleurs dans cette ville.

CHINATOWN, UN QUARTIER DE PARIS

Autre exemple : le « Chinatown » du 13e  arrondissement. Un des quartiers les plus pittoresques de la capitale. Cet ensemble d’immeubles d’une centaine de mètres de hauteur, construit entre 1969 et 1977, n’a pas été conçu pour accueillir ces populations. Mais il est sorti de terre en même temps que l’arrivée des premiers « boat people ». À cette époque, des milliers de Sino-Vietnamiens fuient les persécutions du régime communiste. En région parisienne, la porte de Choisy reste un port d’attache incontournable des Asiatiques.

 « Le sentiment d’ancrage des migrants est beaucoup plus local que pour les populations qui ont passé toute leur vie en France », souligne France Guérin-Pace, chercheuse à l’Inedspécialiste des questions d’identité territoriales. De fait, seul 1 % des personnes nées à l’étranger font référence au département ou à la région comme lieu d’origine, seulement 13 % à la France, alors qu’ils citent leur commune dans 23 % des cas. Les migrants investissent avant tout leur ville.

LES ITALIENS DE GRENOBLE...

Grenoble en est l’exemple incarné. 10 % des habitants de la ville sont des ressortissants italiens. Entre 1920 et la fin des années 1950, des milliers d’habitants de Corato, ville des Pouilles, au sud de la péninsule, s’y sont installés. Ils ont fortement participé au développement de l’Isère (bâtiment, construction de barrages hydroélectriques) après la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd’hui, Grenoble et Corato sont jumelées, et les jeunes de la quatrième ou cinquième génération cultivent encore cette part de leur identité à travers un tissu associatif très actif. Des voyages transalpins sont organisés. Des cars sont affrétés pour aller voir les matchs de la Squadra Azzurra. Une radio locale émet dans la langue de Dante. Une exposition au musée du Dauphiné a été organisée pour retracer l’histoire des Coratins. Sans compter la présence d’un institut culturel italien.

... ET LES BELGES DE NORMANDIE

Les Belges ont également laissé leur marque. Au même titre que les Polonais, ils sont venus en nombre dans les bassins miniers du Nord et en Lorraine. Chose moins connue : les noms de famille à consonance wallonne sont également légion en Normandie. Ceux qui avaient fui l’invasion allemande de 1914-1918 sont en effet venus s’occuper de la culture du lin et son industrie dans cette région. « Cela explique qu’on y retrouve des “places des Belges” dans plusieurs villes, comme à Yvetot, par exemple », ajoute Catherine Withol de Wenden.

La présence des populations d’origine maghrébine (entre cinq et six millions de personnes) est plus difficile à décrypter, car leur répartition est plus diffuse. « Dès les premières arrivées, ils se sont rapprochés des foyers industriels », explique l’historien Pascal Blanchard, spécialiste des diasporas en France (2). Ils se sont donc installés en nombre autour de Paris-Lyon-Marseille mais aussi dans d’autres villes de moindre envergure comme Clermont-Ferrand et ses usines Michelin.

LES HARKIS ONT LEUR HISTOIRE PROPRE

Dans ces grandes agglomérations, le paysage urbain s’en est retrouvé modifié, avec l’édification des mosquées les plus monumentales, de boutiques hallal, et des carrés musulmans, dans les cimetières. « Leur implantation dans l’Est de la France s’explique en partie par l’activité militaire, nuance Pascal Blanchard. Durant l’entre-deux-guerres, une “Ligne Maginot humaine” est formée en puisant dans les forces coloniales, qui viennent remplir quelque 130 casernes (Metz, Nancy…). » 

Les Harkis et leurs enfants (environ 500 000 personnes) ont aussi leur histoire propre : ces naufragés de la guerre d’Algérie vivent essentiellement dans l’arc méditerranéen entre Marseille, Nîmes, Montpellier, et Perpignan. Beaucoup de familles se sont notamment installées dans le Languedoc pour y cultiver la vigne.

42 MILLIARDS D’EUROS INVESTIS DANS LES QUARTIERS

Il existe enfin une dernière carte liée aux migrations. Celle des 751 « zones urbaines sensibles » de France. Elle fait l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics. Ces ensembles, pour l’essentiel constitués d’immeubles HLM, ont été pour beaucoup construits au cours des années 1960-1970 pour résorber les bidonvilles occupés par la main-d’œuvre étrangère. Aujourd’hui encore, sur les 4,5 millions d’habitants de ces quartiers, la moitié sont des immigrés ou des enfants d’immigrés. Cette part atteint 64 % en Île-de-France.

Mais à la fin des Trente glorieuses, ces cités-dortoirs sont devenues des « réservoirs de travailleurs sans travail en déficits de services publics », regrette Pascal Blanchard. Ces dix dernières années, la puissance publique a investi 42 milliards d’euros dans ces quartiers pour rénover le bâti et construire des équipements. Sans vraiment changer la donne sur le plan social. Dans ces zones urbaines, le chômage est deux fois plus élevé qu’ailleurs.

19/3/15, JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS

Source : la-croix.com

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