Le Conseil des Prud’hommes de Paris examine les recours pour discrimination renvoyés depuis 2005
La bataille juridique des cheminots marocains contre la SNCF se poursuit. Un nouveau round vient d’être entamé après plusieurs renvois. Une audience a été ouverte hier au Conseil des Prud’hommes de Paris pour l’examen de ces recours pour discrimination déposés par 832 cheminots de nationalité ou d’origine marocaine, qui affirment avoir été bloqués dans leurs carrières et pénalisés à la retraite. Réexaminés cette fois par un juge professionnel, ils feront l’objet d’une douzaine d’audiences regroupées sur quatre jours, jusqu’à vendredi, a rapporté Libération France.
Ils ont été près de 2.000 personnes à être recrutées dans les années 70 par la SNCF. Objectif : faire le sale boulot. En effet, le travail a été dur, tellement dure qu’il y a peu de postulants pour des postes dans la société nationale de chemin de fer qui avait besoin d’une main d’œuvre docile et corvéable à merci.
Et il n’y a pas mieux que les Marocains recrutés sur place à grande échelle pendant plusieurs années, en vertu d'une convention signée en 1963 entre la France et le Maroc fraîchement indépendant, pour mener ce travail. On va les chercher dans les régions qui avaient fourni des militaires lors de la Seconde Guerre mondiale, là où il y avait des gens forts et en bonne santé.
A l’opposé de la plupart des membres du personnel (dits "cadre permanent") de SNCF qui bénéficient d'un statut particulier et d'un régime spécial de retraite, ces Marocains seront embauchés comme des contractuels avec un contrat de droit privé et ils seront affiliés au régime général de la sécurité sociale créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Une différenciation que ces agents à la retraite, ou proches de la retraite considèrent aujourd’hui comme discriminatoire puisque ce statut particulier des cheminots, plus avantageux a été réservé uniquement aux ressortissants européens.
Seuls 113 ont obtenu ce fameux «statut», dénommé en interne «cadre permanent» alors que la moitié des 832 plaignants ont acquis la nationalité française, tout en estimant que leur ancienneté n’a pas été reconnue.
Le tiers des cheminots restés contractuels affirment avoir été poussés à la retraite à 55 ans et lésés plus que les autres et ceux qui, ayant cotisé 40 ans au régime général, «se verront verser en moyenne une pension inférieure de 50% à celle d’un cheminot au cadre permanent parti à 55 ans après 30 ans de service». Ainsi une pension de base d'un contractuel ayant cotisé quarante ans ne dépasse pas les 1.100 euros par mois.
En «réparation», les plaignants réclament en moyenne 400.000 euros de dommages et intérêts, dont la moitié au titre du préjudice de retraite, le reste pour les carrières. Une facture qui s’annonce lourde pour la compagnie ferroviaire si les Prud’hommes finissent par donner raison aux cheminots marocains. De son côté, cette dernière conteste les calculs faits par les cheminots plaignants. Elle estime que ces derniers en optant pour le départ à 55 ans « auraient eu une retraite moins élevée s'ils avaient été au cadre permanent ». Et elle a même réfuté toute discrimination entre salariés de même qualification, en fournissant un « panel » de comparaison de « plus de mille agents ». Pour l'avocat de la compagnie ferroviaire, qui invoquera également la prescription des faits, « on compare l'incomparable (…); la SNCF, entreprise publique, a deux statuts pour ses salariés, la loi le prévoit comme ça », a considéré Me Jean-Luc Hirsch, cité par Libération France. Le jugement devrait être mis en délibéré.
24 Mars 2015, Hassan Bentaleb
Source : Libération