« On est dans un pays étranger, il faut qu’on s’adapte. »Voici les mots qu’utilise une maman de 40 ans, arrivée en France à l’âge de 3 mois, pour expliquer à sa fille les raisons d’une alimentation dite « hallal » et du même coup son choix de commander un menu végétarien lors d’une sortie scolaire.
Ces mots résonnent évidemment avec l’intervention d’un journaliste à Beur FM lors de la soirée d’hommage du 7 janvier organisée par Mediapart. Cette dichotomie entre le « nous » et le « vous » se révèle comme une opinion partagée par l’élite et la société civile issues de l’immigration, le « nous » étant les immigrés ou descendants d’immigrés, de deuxième voire de troisième génération et le « vous » étant la société d’accueil. Le langage apparaît alors comme déterminant d’un ressenti partagé et mérite sans aucun doute une analyse et une prise de recul.
Dans son ouvrage "L’immigration" (collection Débat Public, 2006), Laetitia Van Eeckhout présente et explique le thème de l’immigration en 135 questions, en précisant les conditions historiques, les évolutions et les enjeux de ce phénomène. ( cf documentation française, la librairie du citoyen.) Elle redéfinit clairement les termes d’assimilation, d’intégration et d’insertion. « L’assimilation se définit comme la pleine adhésion par les immigrés aux normes de la société d’accueil, l’expression de leur identité et leurs spécificités socioculturelles d’origine étant cantonnée à la seule sphère privée. Dans le processus d’assimilation, l’obtention de la nationalité, conçue comme un engagement "sans retour", revêt une importance capitale. »
La politique française migratoire a abandonné l’idée de l’assimilation des migrants quand ils ont cessé de n’être qu’une force de travail et qu’ils sont devenus habitants de la cité. Le terme devient alors péjoratif. Depuis le début des années 1980 et jusqu’à la création précise du ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement, créé par Nicolas Sarkozy, le discours se porte alors sur l’intégration et est relégué par les médias depuis quarante ans.
Selon Laetitia Van Eeckhout , « l’intégration exprime davantage une dynamique d’échange, dans laquelle chacun accepte de se constituer partie d’un tout où l’adhésion aux règles de fonctionnement et aux valeurs de la société d’accueil, et le respect de ce qui fait l’unité et l’intégrité de la communauté n’interdisent pas le maintien des différences. » Chaque terme de cette définition peut être mis en lumière par une décision politique locale, récente, portée par deux municipalités stéphanoises de bords politiques divergents. En 2007, la municipalité élue construit une charte de la restauration scolaire avec les agents municipaux et des représentants syndicaux afin d’« améliorer la pause méridienne ». Ce document présente alors les objectifs poursuivis et les moyens de les mettre en œuvre pendant ce temps municipal. Parmi ceux-ci, on peut lire dans l’intitulé « offrir un moment éducatif » :« L’éducation au goût est favorisée : un enfant n’est jamais « forcé » à consommer le contenu de son assiette, mais est encouragé à le goûter : c’est parfois l’occasion pour lui de diversifier son alimentation. » Dans les faits, selon les agents municipaux chargés de la restauration scolaire, cela signifiait servir à l’enfant, dans son assiette, tout ce qui était proposé par le menu. Cette injonction paraissait alors favoriser l’éducation au goût et à l’équilibre alimentaire renforcée par l’introduction d’aliments biologiques. Les bonnes intentions n’ayant pas toujours les effets escomptés, la mairie constata le gaspillage alimentaire et décida de servir les enfants dans des récipients séparés en deux contenants, sauf pour des plats uniques comme le hâchis parmentier. Or, c’était sur ce genre de plats que les assiettes restaient pleines la plupart du temps, parce qu’ils contenaient de la viande, qui à l’évidence, n’était pas hallal. La municipalité suivante, élue en 2013, observa la même problématique du coût du gaspillage et décida alors de proposer aux familles des menus végétariens. Lors d’une première sortie qui incluait un repas municipal, dans une classe de Grande Section, 15 familles sur 26 réservèrent un repas végétarien.
Cette anecdote semble banale et bien loin des problématiques d’intégration. Elle reflète pourtant clairement les politiques dites d’intégration, qui sont réfléchies, actées et justifiées.
Si l’intégration permet « une dynamique d’échange » dans le respect du vivre ensemble et par conséquent de la laïcité française, elle « accepte et permet également le maintien des différences. » Gageons que les enfants de 5 ans qui n’ont pas eu à gérer, seuls, les tergiversations schizophrènes entre les injonctions de la famille et celles de l’institution, sentiront d’autant plus la cohérence entre leur place dans la société que représente leur présence à l’école et les temps périscolaires, et leurs traditions, coutumes, religieuses ou sociales.
Il est dommageable que l’adjoint au maire chargé de l’éducation ait trouvé bon de justifier la mise en place de ces repas par un argumentaire édifiant sur l’équilibre nutritionnel végétarien, semblant s’adresser à une minorité de familles, qui, pour des raisons idéologiques ou écologiques, évitent aujourd’hui les protéines animales. Cet édito de la gazette stéphanoise reflète alors l’absence de courage politique quant au langage et à l’honnêteté intellectuelle des élus locaux ou nationaux. Or, pour reprendre Benoît Bréville, du Monde Diplomatique de février 2015 dans son article « Islamophobie ou prolophobie ? », c’est « s’éloigner de l’esprit des Lumières qui laisse prospérer les préjugés et les discriminations. » La précision et l’intégrité en sont sans aucun doute des composantes indispensables.
23 mars 2015, sbaz
Source : mediapart.fr