Tirer à boulets rouges sur le FN devait suffire. Mais au PS comme l'UMP ou à l'UDI, on ne s'est pas bousculé pour faire monter la diversité pour les élections déparmentales.
Mercredi dernier, Le Parisien révélait que 85 des 93 conseils départementaux (ex-conseils généraux) n'avaient aucun élu noir, d'origine arabe ou asiatique. De quoi donner des idées pour les prochains "Ya bon awards", cette cérémonie satirique qui récompense les politiques et les personnalités publiques pour leurs dérapages racistes ou xénophobes. On se souvient de cette vidéo du premier Ministre Manuel Valls, sur le marché "pas très white" d'Evry, bien loin de l'homme d'état qui confesse avoir peur pour son pays, en proie à la tentation du sectarisme du Front National. Pour le Conseil représentatif des associations noires (Cran), le bilan est sans appel : la France se caractérise par son manque de diversité et pas seulement dans les conseil généraux.
Les assemblées élues ne ressemblent plus à la France d'aujourd'hui.
La population française, c'est plus de 3,1 millions de personnes âgées de 18 à 50 ans, nées en France, enfants d'immigrés. 50 % d'entre eux ont deux parents immigrés et 20 % au moins un des deux parents d'origine étrangère. D'un point de vue économique, l'immigration a longtemps été une manne. Mais les trente glorieuses sont dernières nous. Et même si tous les Français partageaient l'émotion et la fierté de Lassana Bathily, héros de l'hyper casher et symbole malgré lui de la France anti-Zemmour, l'esprit du 11 janvier s'essouffle. Gonflées à bloc par une brise marine, les voiles blanches des partis politiques français portent les collectivités à droite toute. Dès le week-end prochain, 91 % des Conseils départementaux, ne seront composés... que de blancs. De nombreuses assemblées départementales ne compteront aucune personne de la diversité : Corse-du-Sud, la Haute-Corse, Alpes-Maritimes, l'Eure, Gard, Meurthe-et-Moselle, Seine-et-Marne. C'est sans doute que les têtes chercheuses des partis ont du mal à dénicher les talents de la diversité.
Pour une fois, le "93" fait figure de meilleur élève!
Plus connu pour sa précarité et ses populations fragilisées par le chômage et l'exclusion, l'actuel conseil général de Seine-Saint-Denis compte 4 édiles colorés, 10 % de l'assemblée. Un chiffre qui reste ridicule au regard de la cartographie démographique du territoire. Dans l'Essonne, on compte 2 élus de la diversité, tout comme dans le Val-de-Marne. Les Bouches-du-Rhône en dénombrent 4. Pas de quoi sauter au plafond. Pour avancer ces chiffres, le Cran a utilisé la même méthode que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) qui établit chaque année un baromètre de la diversité dans les médias, sur la base de trois éléments: la photo des personnes, leur lieu de naissance et leur patronyme. Comme le rappelle Le Parisien/Aujourd'hui en France, sont considérées comme représentatives de la diversité les personnes noires, arabes ou asiatiques. Droite et gauche ont du mal avec la diversité. 1,67 % d'élus issus de la diversité au Front de gauche, 1,61 % à l'UMP-UDI et 0,75 % au PS. Zéro pointé pour ELLV et le FN.
Suite à l'article du Parisien "Conseils généraux : zéro pointé pour la diversité!", les commentaires des lecteurs sont riches d'enseignements.
Certains considèrent que la diversité n'est pas un angle d'approche pertinent et proposent de compter les "noms à consonance italienne, espagnole, polonaise". Pourquoi pas ! Mais les statistiques prouvent que l'immigration européenne, celle d'une population blanche et catholique s'intègre plus rapidement que l'immigration africaine ou asiatique. Pour d'autres lecteurs, le vrai problème est le manque de renouvellement de la classe politique et le cumul des mandats "La politique devrait être réservée aux moins de 60 ans et limitée à 2 mandats avec 50% d'hommes et 50% de femmes". Enfin certains lecteurs s'insurgent contre cette stigmatisation d'une partie de la population française, proposant ironiquement des quotas "pour les nains, aveugles et les malvoyants, les sourds etc." Maud, une des lectrices du Parisien, n'est pas plus tendre avec la mesure du binôme paritaire "Et alors, nous sommes en France, non ? La discrimination positive n'existe pas ; cette parité obligée est humiliante. Les gens issus des minorités n'ont qu'à s'engager en politique, rien ne leur interdit". Le fait est qu'ils s'engagent et qu'ils militent déjà ! Mais les positions éligibles restent chères. Comme l'ascenseur social, l'ascenseur politique grippe et bloque.
Plus qu'un gadget de campagne, une véritable politique de la diversité se pose comme une évidence.
Une grande politique nationale visant les discriminations liées à l'origine réelles ou supposées, s'impose. Même perfectible, elle viendra combler un vide encore plus destructeur de certains politiques désemparés et pas très volontaires. Dans son ouvrage "L'islam, un recours pour les jeunes" (Presses de Science Po), la sociologue Nathalie Kapko tire le signal d'alarme tout en nous rappelant que tout n'est pas bon à jeter dans notre système de représentation politique "Le républicanisme reste un type d'organisation valable mais son articulation avec l'expression des différences doit être revisitée". Des inégalités et une sous-représentation politique dont la perception s'accroit en période de crise économique "l'accroissement des inégalités socio-économiques depuis 1975, après une longue période de reflux de celles-ci, déstabilise la logique de réciprocité sur laquelle reposait le contrat social".
Enfin, dans la classe politique comme pour le reste de la société, la représentation selon laquelle le racisme et les épreuves liées à l'origine et à la couleur de peau ne sont pas prises au sérieux par la puissance publique, renforcent un ressentiment qui s'exprime à son paroxysme dans les quartiers les plus défavorisés.
Proposition choc : le Cran appelle à s'attaquer à la question de la diversité, après celle de la parité pour les futures élections "nous exigeons la mise en place d'un quota de 10% pour les minorités ethniques dans la vie politique française", a déclaré Louis-Georges Tin, le président de l'association. Un jour des quotas pour les partis politiques ? Rien n'est moins sur. En tout cas, la coercition marche. La meilleure preuve en est la parité homme-femme, une mesure pour corriger une sous-représentation des élues dans les assemblées déparmentales.
Dans l'une de ses notes "Les discriminations positives en matière électorale aux États-Unis et en France", le Conseil Constitutionnel s'exprime, mais ne prend pas de risque. Une discrimination, même positive reste une discrimination incompatible avec les principes égalitaires du vote "l'impossibilité de diviser par catégorie les électeurs où les éligibles s'opposent ainsi à une discrimination positive qui serait fondée sur le sexe, en l'occurrence qui aurait consisté à instaurer des quotas sur les listes électorales, de telle sorte qu'il ne puisse y avoir plus de 75 % de candidats du même sexe. Ce faisant, la discrimination, même positive, reposant sur le genre, rejoint les autres discriminations expressément interdites par l'article premier de la Constitution qui reviendraient à identifier des groupes ou des minorités au sein du peuple en se basant sur l'origine, la race ou la religion".
Alors non, pas de remède bigarré pour les "ghettos-blancs" de la politique, condamnés au circuit fermé et à la reproduction endogame jusqu'à plus soif. Plus qu'un assaut communautaire, le message du Cran est, en fait, une main tendue, un appel au renouvellement pour une classe politique en manque d'ancrage dans le réel de la société française.
26/03/2015, Farid Gueham
Source : huffingtonpost.fr