Arrivés du fin fond de l'Afrique, ou nés dans les «quartiers», ils sont devenus avocats, patrons, médecins... A force de travail et de ténacité.
Voilà une bonne et rassurante nouvelle : l'ascenseur social n'est pas tout à fait hors service en France ! La réussite scolaire est certes plus ardue pour les immigrés et enfants d'immigrés, en particulier lorsqu'ils cumulent nom étranger et milieu social défavorisé. Cependant, les bonnes rencontres, le soutien familial, l'acharnement et le travail peuvent encore payer en France. Certains sont nés loin de chez nous, d'autres dans l'Hexagone ; certains possèdent la nationalité française, d'autres non ; certains ont intégré une grande école, d'autres se sont faits tout seuls. Mais tous ont un point commun : ils ont construit leur propre réussite avec leurs tripes, grâce à leurs efforts et à leur ténacité. Et, ils nous le disent ici, ils ont appris beaucoup de leurs galères.
Nous vous en présentons huit. Mais nous aurions pu tout aussi bien en proposer des centaines d'autres, dénichés dans les conseils d'administration, les bureaux d'études, les associations, les cabinets médicaux et même les anti chambres de la politique. C'est cela aussi, l'immigration...
Mohed Altrad, P-DG d'Altrad, président du Montpellier Hérault Rugby : ce fils de Bédouin est devenu milliardaire
Après une enfance dans une tribu nomade, un apprentissage autodidacte de la lecture et un bac passé à Rakka (actuel fief de l'Etat islamique), Mohed Altrad débarque en France à peine âgé de 18 ans. Bosseur et déterminé, il obtient son doctorat en informatique et travaille pour Alcatel et Thomson. En 1985, il achète une petite entreprise d'échafaudages en faillite près de Montpellier. Trente ans plus tard, sa société est devenue l'un des leaders mondiaux du BTP et a rendu son fondateur milliardaire : il pointe au soixante et unième rang des plus grandes fortunes de France. En plus de son groupe, Mohed Altrad possède un grand club de rugby, le Montpellier Hérault Rugby, acheté en 2011. Et il publie des romans chez Actes Sud.
Ses propositions. Pour lui, la solution du problème de l'intégration est avant tout politique. «Il faut dire aux immigrés ce que l'on attend d'eux. En France, ils ont des droits et des allocations, mais aussi des devoirs et des obligations : ils doivent faire quelque chose pour ce pays !», martèle-t-il. Pour porter ce message, le Bédouin-P-DG souhaiterait qu'il y ait davantage d'hommes politiques issus de l'immigration. «Dans certains lycées de zones sensibles, j'entends dire que la France est raciste, xénophobe, qu'elle ne fait rien pour les immigrés. C'est faux. Quand c'est moi qui le leur explique, ils l'entendent.»
Fatiha Gas, directrice de l'ESIEA Paris : femme, maghrébine... et ingénieur en chef
Diplômée de l'université d'Alger, Fatiha Gas arrive en France pour faire son doctorat. «J'ai eu énormément de problèmes car je ne connaissais pas les codes en vigueur de ce côté-ci de la méditerranée... Ce n'est pas par choix que j'ai fini dans l'enseignement, c'est juste que je ne trouvais pas d'autre job. Dans le monde du travail, mieux vaut ne pas être femme et maghrébine.» Fatiha Gas a tout de même réussi à s'en sortir : elle est désormais à la tête de l'ESIEA Paris, une grande école d'ingénieurs.
Ses propositions. Tout d'abord, mieux diriger ceux qui arrivent dans leurs choix d'études. «Je pensais que, comme en Algérie, le doctorat était très reconnu. Je ne connaissais pas les fameuses grandes écoles», confesse-t-elle. Fatiha Gas milite également pour le CV anonyme : «il accroît les chances de décrocher un entretien et, par conséquent, de convaincre. Cela aurait pu beaucoup m'aider à la fin de mes études...»
Héritier Luwawa Nzinga, Patron de Be Eco Services : cet ex-livreur de pizzas est devenu chef d'entreprise
Arrivé en France à 8 ans pour fuir la guerre civile, le jeune Héritier s'installe à Nantes, puis à Paris, où résident des membres de sa famille. Son bac en poche, il enchaîne les petits boulots, mais peine à trouver de réelles perspectives d'emploi : «J'ai livré des pizzas, puis je me suis lancé dans un BTS, mais je m'ennuyais», témoigne-t-il. De guerre lasse, il postule pour un stage dans une société de services, qui propose des ménages à domicile. Le jeune homme est motivé. Il décroche un CDI et gravit les échelons un à un pendant six ans, jusqu'à atteindre le poste de directeur commercial. Le voilà lancé. Il décide alors de créer sa propre entreprise de nettoyage, Be Eco Services. Son originalité : l'utilisation de produits écologiques. Aujourd'hui, à 32 ans, il gère deux sociétés, une à Toulouse, une à Paris, avec 350 salariés et un chiffre d'affaires de 3 millions d'euros. Belle revanche pour le petit immigré angolais qui ne parlait pas un mot de français à son arrivée en Europe...
Ses propositions. Faire davantage confiance aux jeunes, en particulier à ceux qui subissent la «double peine» : un nom étranger et une adresse dans le 9-3. Et ne pas hésiter à les faire dialoguer avec des entrepreneurs issus de l'immigration qui ont réussi. «Je le fais de temps en temps. Le message passe mieux quand on a les mêmes codes, les mêmes galères. Un diplômé de HEC n'aurait pas autant de crédibilité face à eux.» A l'issue de ces entretiens, de nombreux jeunes le recontactent pour des conseils sur leurs projets. «On ne valorise pas assez ces talents», regrette Héritier Luwawa Nzinga.
Abdelkrim Benamar, vice-président d'Alcatel-Lucent : Les discriminations ? Connaît pas !
«Quand j'avais 19 de moyenne, mon père, ouvrier algérien arrivé en France dans les années 1960, me disait : "pourquoi 19 ? Tu as fait une faute ?"» L'anecdote prête à sourire, mais révèle beaucoup de l'enfance d'Abdelkrim Benamar. Depuis toujours, il adore les maths et les matières scientifiques. Grâce à ses facilités et à de bons professeurs qui le poussent à s'inscrire en classe préparatoire, le jeune homme intègre une grande école d'ingénieurs. Après son doctorat, il entre chez Ericsson France et y monte en grade jusqu'à devenir vice-président. Il occupe aujourd'hui ce poste chez Alcatel-Lucent. «Je n'ai jamais fait l'objet de discrimination. Une seule fois, lors d'un entretien, on m'a demandé si j'étais «bien intégré», cela m'a beaucoup surpris, je n'ai pas du tout compris de quoi on me parlait», se souvient-il, mi-amusé, mi-gêné. Depuis, ses origines ne lui ont jamais été rappelées. Dans son métier, ce qui compte, c'est la compétence. Abdelkrim Benamar prévoit désormais de quitter Alcatel-Lucent pour de nouvelles aventures, plus internationales.
Ses propositions. Résolument hostile à toute forme de discrimination positive, il compte sur le soutien des associations pour aider les jeunes à s'en sortir. Sa règle d'or : l'adaptation. «Il faut que les immigrés apprennent les codes sociaux pour mieux s'intégrer à la société dans laquelle ils vivent», explique-t-il. Cela passe par des détails qui ont leur importance : lui-même, musulman pratiquant, respecte par exemple le ramadan, mais il assure accompagner volontiers ses collègues pour un repas, tant que lui ne mange pas. «Où est le problème ?»
Haïba Ouaissi, avocat : sa mère ne parlait pas un mot de français
pour Haïba Ouaissi. Sa mère ne parlait pas le français, et il a dû se battre pour réussir à l'école. Aujourd'hui, il reprend les mots de Churchill : «Le succès n'est pas final, l'échec n'est pas fatal, c'est le courage de continuer qui compte.» A force d'acharnement, le jeune homme décroche un doctorat de droit. Désormais avocat associé d'un grand cabinet sur les Champs-Elysées et maître de conférences à l'université de Rouen, il cite avec aisance Nietzsche, Victor Hugo ou SaintExupéry. Mais, dès qu'il enlève sa cravate, les regards qu'on lui porte changent du tout au tout : il redevient un jeune Beur comme les autres.
Ses propositions. Organiser des interventions auprès des jeunes, dès le collège, «pour leur montrer que la réussite ne passe pas uniquement par le sport et la musique». Rapprocher les entreprises des lycées, pour permettre à ceux qui ne les possèdent pas d'acquérir les codes sociaux indispensables. Ouvrir les conseils d'administration des grandes sociétés à une élite issue de l'immigration.
Juliette Tchuenbou, gastro-entérologue : elle s'est battue pour intégrer la FAC de Rouen
Pour être admise dans une FAC de médecine française, après un bac passé au Cameroun, Juliette Tchuenbou n'a pas chômé. Il lui a fallu monter un dossier, obtenir de bonnes appréciations, passer des tas d'entretiens. «Je suis d'une nature optimiste, donc j'avais confiance», sourit-elle. Elle finit par décrocher son billet pour Rouen, où des cousins étudient eux aussi la médecine. Grâce à leurs conseils, et à beaucoup de travail, elle réussit ses concours du premier coup et s'intègre aisément. «Je ne me suis pas sentie lésée à cause de mes origines... De toute façon, j'étais tellement concentrée sur mes études que je n'ai pas fait attention au reste», s'amuse-t-elle. Après dix ans de pratique à l'hôpital, elle a ouvert son cabinet en libéral, près de Tours, où elle exerce depuis quatre ans, tout en présidant l'association des médecins africains de France.
Ses propositions. Inutile d'aller se plaindre et de quémander de l'aide : pour s'intégrer, martèle le Dr Tchuenbou, il suffit de croire en soi et de travailler. «Les jeunes immigrés ne doivent pas avoir peur de mettre en avant leurs compétences et d'exprimer leur talent.»
Anissa Djaadi-Mezhoud, chargée de communication senior chez JCDecaux : elle a fait ses armes en cabinet ministériel
Après des études secondaires en Zep et une licence de lettres avortée, Anissa Djaadimezhoud découvre la politique lors d'un stage à la mairie de Lyon. La voilà conquise. Elle passe par l'IEP de Lyon, décroche un master de communication politique à la Sorbonne, et obtient un poste de conseillère au cabinet de Christine Boutin, alors ministre du Logement. «C'était très enrichissant», raconte-t-elle. Dès lors, la voilà lancée. Elle enchaîne les cabinets ministériels (Benoist Apparu, Michel Mercier, Claude Greff) puis rejoint le think tank EuropaNova, avant de prendre la responsabilité de la communication institutionnelle du groupe JCDecaux. «Ma mère m'a toujours dit de travailler plus que les autres, c'est exactement ce que j'ai fait», sourit-elle.
Ses propositions. Elle regrette avant tout le manque d'information dans les lycées : «Si on m'avait parlé des prépas, j'aurais adoré en faire une.» Elle prône une meilleure formation des conseillers d'orientation et davantage de mixité sociale. Par exemple, «des débats sur l'actualité entre Zep et lycées réputés pour que ces deux mondes se rencontrent». Les quotas dans les directions d'entreprise ? «Ce serait dommage d'en arriver là, mais pourquoi pas ?»
Boun Ngy Chhuon, consultant : de la jungle cambodgienne à HEC
Lors de la guerre civile cambodgienne, Boun Ngy Chhuon, à 7 ans, fuit Phnom Penh avec sa mère et se réfugie dans la jungle, avant de gagner le Vietnam tout proche, puis de s'envoler pour Paris, où vivent des connaissances de son oncle. Lorsqu'il débarque en CP, il ne parle pas le français. Quelques années plus tard, il décroche son bac à Henri IV, avant d'intégrer une grande école d'ingénieurs. Ses trois secrets ? Le travail, le travail et le travail. «J'ai toujours fait énormément d'efforts, l'école républicaine a fait le reste en me fournissant d'excellents profs», explique-t-il avec humilité. Après avoir tâté du salariat, notamment chez Capgemini, il crée sa propre entreprise, Ball Consulting, et copréside le Club XXIe siècle, une association réservée aux élites issues de la diversité, «pour rendre un peu de ce qui m'a été donné».
Ses propositions. Pour s'intégrer, il n'y a qu'une seule solution à ses yeux : payer de sa personne. Et c'est aux parents qu'incombe la tâche de pousser les jeunes à l'effort. «Ma mère ne parlait pas le français, elle n'a jamais pu m'aider à faire mes devoirs. Mais elle m'a appris à respecter l'autorité des institutions et à m'investir pour mon avenir.»
27/03/15, Laura Makary
Source : capital.fr