Le vice-premier ministre et ministre des Affaires sociales des Pays-Bas, Lodewijk Frans Asscher était en visite officielle au Maroc il y a quelques jours. Dans un entretien exclusif aux ÉCO, il a livré sa vision des relations maroco-hollandaises ainsi que son point de vue sur les négociations sur l'amendement de la convention de la sécurité sociale, signée en 1972.
Les ÉCO : Votre visite est la troisième du genre cette année, après celles du ministre du Commerce extérieur et du ministre des Affaires extérieures…
Lodewijk Frans Asscher : Les trois visites symbolisent quatre siècles d’amitié entre les deux pays. Et même si elles sont différentes les unes des autres, notamment en termes des conventions signées et les partenariats scellés, il y a une continuité dans le sens que ma visite poursuit l’élan de renforcement de nos relations bilatérales. Le fait que je sois à la fois ministre des Affaires sociales et vice-premier ministre me donne la possibilité d’avoir une vision plus globale sur les relations des Pays-Bas avec ces partenaires.
Dans quel sens, ses deux portefeuilles interférent-ils dans votre mission au Maroc ?
Ces deux casquettes sont plutôt complémentaires. Le portefeuille du vice-premier ministre implique que je suis responsable de la stabilité du gouvernement que je représente. En revanche, le portefeuille du ministre des Affaires sociales et de l’intégration est la fonction que j’occupe quotidiennement. En ce qui concerne cette visite, plusieurs sujets et dossiers ont été traités, comme la lutte contre le terrorisme, un domaine où les deux pays collaborent étroitement. Il est parfois très difficile de lutter contre la radicalisation des jeunes. Le Maroc est un bon exemple à suivre même si la Hollande est évidemment un pays différent, en ce qui concerne le rôle de la religion dans la société. Il faut dire que nous avons eu de très bons échanges avec le ministre marocain des Affaires islamiques. Cela nous pousse à multiplier les efforts pour améliorer le bien-être de nos binationaux. Certains parmi ces derniers ont réussi dans notre société. D’autres ont malheureusement des problèmes, y compris les jeunes qui rejoignent les organisations terroristes.
Ne pensez-vous pas que cela est dû au fait que les gouvernements européens, de manière générale, n’ont pas offert aux émigrés les conditions nécessaires pour s’intégrer ?
Les Pays-Bas ont investi énormément dans l’intégration et nous avons réussi la plupart du temps. Néanmoins, il faut reconnaître que certains jeunes, qui sont d’origine étrangère mais qui grandissent dans notre société, ne trouvent pas des réponses à leurs questionnements existentiels. La responsabilité est donc partagée entre les gouvernements, les familles et les communautés afin qu’ils puissent bénéficier des libertés que notre société offre sans couper les liens avec celle-ci et avec leurs familles comme ça arrive parfois. C’est aussi un problème qu’on trouve dans tous les pays d’immigration. Ce n’est pas un problème uniquement hollandais. Cela dit, je peux dire que la Hollande peut être fière de son expérience en matière d’immigration et de ce qu’elle peut offrir aux immigrés. À ce propos, on peut citer comme exemple l’éducation, l’emploi, les libertés, etc.
Quelles sont les mesures prises en ce sens ?
Nous avons mis en place des mesures strictes contre la discrimination en introduisant des lois pour protéger nos citoyens. À titre d’exemple, les entreprises coupables de discrimination ne peuvent plus travailler avec le gouvernement. Aussi, nous avons pris un ensemble de mesures ambitieuses pour lutter contre le chômage des jeunes, car nous avons remarqué que le taux de chômage est très élevé parmi les communautés issues de l’immigration. En plus, notre société offre des libertés et des avantages dont les jeunes doivent profiter. Globalement, ce sont trois éléments qui permettent une intégration réussie.
La collaboration en matière de lutte contre le terrorisme aura-t-elle une plus grande place dans les relations entre les deux pays ?
Absolument. Malheureusement, 70% des 240 combattants étrangers hollandais (en Syrie) sont d’origine marocaine. Et je peux vous dire que ce sujet est lié à celui de l’intégration. Ce sont deux sujets différents, certes, mais il y a une corrélation entre les deux. Au cours de ces dernières années, les deux pays sont devenus de grands alliés. Notre objectif est de renforcer ces relations tout en luttant contre les sources de la radicalisation des jeunes. De notre côté, nous croyons qu’il y a beaucoup de choses à apprendre du Maroc dans ce domaine.
Est-ce que cela explique le renforcement des relations entre les deux pays ?
L’histoire de ces relations est significative et elle permet de bâtir ces relations sur la confiance. Il faut préciser aussi que les relations entre les pays connaissent des hauts et des bas. Cela est normal. Ce que je souhaiterais ajouter à ce propos est que le rôle du Maroc dans la région et dans le continent est un fait. Les Pays-Bas ont la chance d’avoir toute une communauté qui peut jouer le rôle d’ambassadeur auprès du Maroc. Tous les ingrédients sont donc réunis pour faire de cette conjoncture le moment idéal pour renforcer nos relations.
Pensez-vous que les efforts de communication, entrepris de votre part à propos du traité de 1972 sur la sécurité sociale et les négociations entre les deux pays, ont été concluants ?
Je suis conscient qu’il s’agit d’un sujet délicat. Nous avons beaucoup investi pour expliquer qu’il s’agit d’une politique générale des Pays-Bas et qui ne concerne pas uniquement le Maroc. Deuxièmement, j’ai exprimé mon souhait sincère que le Maroc accepte de modifier la convention sur la sécurité sociale qui date depuis plus de 40 ans et qui n’est plus adaptée aux réalités de nos jours. Troisièmement, nous sommes prêts à faire des concessions si cela est nécessaire. Enfin, si la convention est dénoncée, cela ne changera en rien nos relations privilégiées avec le Maroc.
6/04/15 Hicham AIT ALMOUH
Source : Les Echos