Danger raciste pour les uns, apôtre du parler-vrai pour ses autres, Nigel Farage, leader du parti anti-immigration Ukip, est d'abord un survivant obstiné qui rêve de faire son entrée au Parlement britannique, à sa sixième tentative.
Le champion de la croisade anti-UE et de la préférence nationale en fait une affaire personnelle: s'il n'est pas élu dans sa circonscription du South Thanet, dans son Kent natal, le 7 mai prochain, il quittera la tête du parti qu'il a co-fondé en 1993.
Pour l'United Kingdom Independence Party, ce serait un coup terrible, tellement l'homme-orchestre de 51 ans incarne l'esprit maison et les espoirs des militants qui, tous, l'appellent par son seul prénom: "Nigel!"
"C'est notre leader, notre inspiration. La manière avec laquelle il a amené un parti qui culminait à 3% en 2010 en position de réussir une percée significative au Parlement est juste remarquable", souligne l'eurodéputé Patrick O'Flynn.
Bien que vainqueur des Européennes en 2014, l'Ukip, pénalisé par le mode de scrutin, ne peut en vérité prétendre qu'à une poignée de sièges.
Pour autant, "l'armée du peuple" et son général pèsent lourd dans le paysage et contribuent à la radicalisation des discours sur l'Europe et l'immigration.
Doté d'une gouaille et d'un charisme de télévangéliste, "Nigel" se voit d'abord comme un politique différent, authentique et proche du peuple. Une image qu'il peaufine lors de fréquentes virées au pub où, clope et pinte à la main, il ne rate pas une occasion de narrer ses déjeuners arrosés d'ancien trader.
L'exercice a un prix. "Il fume trop, il boit trop et ne dort pas assez", déplore sa femme allemande, Kirsten Mehr.
Farage, qui a dû démentir en février qu'il était "sérieusement malade", se dit lui-même épuisé. En tête des sondages dans le South Thanet, il ne ménage pas ses efforts pour enfin faire son entrée à Westminster.
En attendant, il est toujours eurodéputé au Parlement de Strasbourg, où il a jadis lancé au président du Conseil européen, Herman Van Rompuy: "Sans vouloir être désagréable, qui êtes-vous? Vous avez le charisme d'une serpillière mouillée".
- 'Un criminel de guerre serbe'-
Parallèlement, il assure la promotion de son livre, "La révolution pourpre", et se charge d'éteindre les incendies provoqués par de nouveaux scandales racistes. S'il ne s'occupe pas lui-même d'allumer la mèche, comme lorsqu'il dit voulait abolir la loi sur la discrimination raciale.
Les positions controversées de son parti, l'ambiguïté qui entoure sa propre personne ainsi que son leadership quasi messianique font de Nigel Farage l'homme politique le plus commenté du Royaume-Uni, élu "Britannique de l'année" par le Times en 2014.
Pour mesurer l'adoration et, en même temps, la répulsion qu'il inspire, il suffit de le suivre en meeting. Lorsqu'il entre dans la salle, de sa démarche légèrement raide, souvenir d'un crash d'avion en 2010, il est systématiquement accueilli par une standing ovation. Lorsqu'il en ressort, c'est toujours pas une porte dérobée, pour échapper aux manifestants qui le traquent à travers le pays.
"On me traite comme un criminel de guerre serbe", déplore-t-il.
S'il a préféré la politique à la City, où il aurait pu gagner "beaucoup d'argent", c'est pour "faire une différence". Avoir failli mourir à trois reprises a changé sa perception des choses, ajoute-t-il.
Agé d'une vingtaine d'année, il frôle l'amputation d'une jambe après avoir été renversé par une voiture à la sortie du pub. Quelques mois plus tard, on lui diagnostique un cancer des testicules. Il épouse l'infirmière qui lui donnera deux fils. Il a ensuite deux filles avec Kirsten Mehr.
En 2010 enfin, le jour des élections, il a failli disparaître dans le crash d'un petit biplace, de fabrication polonaise, lorsque la bannière publicitaire tractée par l'avion s'est empêtrée dans l'hélice. Il s'en est tiré avec quelques côtes fracturées et un poumon perforé, mais souffre toujours des séquelles.
"Je me considère comme l'homme le plus chanceux sur terre", préfère retenir Farage qui regrette seulement manquer de temps pour se consacrer à sa passion du cricket, du bon vin et de la pêche en mer.
06 avr. 2015,Jacques KLOPP
Source : AFP