La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) remet le 8 avril au premier ministre son rapport annuel sur le racisme.
Comme chaque année, elle s’alarme de la prolifération des propos racistes sur les réseaux sociaux. Mais depuis peu, il est possible de les dénoncer en portant plainte directement en ligne.
Sur le Net, les discours haineux coulent à flots. « La toile est perçue comme un espace sans aucun interdit, un lieu où la parole raciste est d’autant plus désinhibée qu’elle est anonyme », constate Marc Knobel, historien et auteur de L’Internet de la haine (éditions Berg international). Exit les filtres exercés par les médias traditionnels, « ici chacun est désormais son propre éditeur, certains faisant du Net le réceptacle de toutes leurs frustrations ».
La plupart des internautes s’en offusquent, mais rares sont ceux à alerter les autorités. « Ils s’estiment impuissants, comme débordés par le phénomène », ajoute l’historien.
Les lignes sont toutefois en train de bouger, assure Sacha Reingewirtz, le président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). « On voit progressivement émerger l’idée d’une “citoyenneté numérique”. C’est en effet à chacun de nous de prendre ses responsabilités pour contrer ce discours de haine, notamment en déposant plainte contre les auteurs de ces propos. » SOS Racisme poste ainsi régulièrement sur Twitter des messages appelant les internautes à signaler les contenus racistes qu’ils repèrent.
Déposer plainte sans passer au commissariat
Le site« Dénoncer la haine sur Internet », créé en février, va plus loin en permettant aux internautes de déposer plainte auprès du parquet en quelques clics seulement. « Cette procédure ultrarapide permet de contourner le passage en commissariat, qui agit souvent comme un frein auprès de nos concitoyens, et de porter directement l’affaire devant la justice », explique Me Jonathan Bensaïd, l’un des fondateurs du site. Avec près de 800 visites quotidiennes, la plate-forme connaît un début plutôt prometteur.
Les associations ont, elles aussi, mis au point des plates-formes dédiées. C’est notamment le cas de la Licra, qui s’est dotée d’un accueil téléphonique permettant de collecter tous les signalements d’internautes. Là encore, tout est fait pour faciliter l’implication citoyenne.
Ainsi, une fois prévenue par l’internaute, c’est l’association elle-même – et sa batterie de juristes spécialisés – qui se charge de porter l’affaire devant les tribunaux.
L’obstacle de l’anonymat des contenus des réseaux sociaux
Reste à savoir si cette floraison d’initiatives permettra de compenser les défaillances de Pharos, le portail officiel du ministère de l’intérieur. Censée recueillir tous les signalements de contenus illicites en ligne (terrorisme, pédophilie, racisme, etc.), la plate-forme ne transmet qu’un nombre infime d’affaires aux procureurs. Les 12 000 à 13 000 signalements de contenus illicites reçus en moyenne chaque année ne débouchent que sur 600 condamnations. « Les enquêteurs de Pharos, qui ne sont qu’une quinzaine, ont d’autres priorités que la lutte contre le racisme, explique un magistrat. Seuls les propos racistes qui leur sont signalés de façon répétée arrivent sur le bureau du procureur. »
L’autre problème posé par les contenus des réseaux sociaux est qu’ils peuvent se déployer sous couvert d’anonymat. L’accès aux adresses IP des internautes reste compliqué, d’autant que les grands réseaux sociaux sont toujours aussi réticents à les communiquer aux enquêteurs. Mais, là aussi, les lignes bougent. « Par peur du discrédit, ces réseaux acceptent, au coup par coup, de déréférencer certains contenus illicites », constate Yves Charpenel, magistrat à la Cour de cassation.
La vigilance des internautes, forme d’auto-police du Net, peut-elle être de nature à inverser la tendance ? « C’est modeste, mais c’est ainsi qu’on construit petit à petit un vrai contre-discours en ligne », assure Me Sabrina Goldman, avocate spécialisée dans les délits de presse.
8/4/15, MARIE BOËTON
Source : La Croix