Le Kenya a gelé mercredi les comptes de 85 personnes et entités soupçonnées de liens avec les islamistes somaliens shebab, parmi lesquelles les principales compagnies de transfert d'argent vers la Somalie, bloquant ainsi des mouvements de fonds essentiels à la population somalienne.
Cette liste des personnes et organisations a été publiée au Journal officiel. Mohamed Mohamud, cerveau présumé de l'attaque de l'université kényane de Garissa, qui a fait 148 morts le 2 avril, y côtoient d'importantes ONG kényanes.
Ces entités et personnalités ont 24 heures pour présenter leur défense, mais leurs comptes bancaires sont préventivement bloqués, selon le ministère des Finances.
Chaque année, la diaspora somalienne, réparti à travers le monde et notamment au Kenya, envoie environ 1,1 milliard d'euros en Somalie.
Faute de système bancaire en Somalie, les mouvements se font via les compagnies de transfert d'argent, elles-mêmes adossées à des établissements bancaires. Geler leurs comptes bloque de facto leurs activités.
Mercredi, une agence du centre de Nairobi d'une des plus importantes de ces compagnies, Dahabshiil, informait ses clients être fermée "jusqu'à nouvel ordre".
Le président de l'Association des bureaux de change et de transfert d'argent, Anthony Wachira, a réagi en soulignant que 13 des 14 compagnies de transfert listées étaient adhérentes de son association et possédaient une licence de la Banque centrale du Kenya (CBK), "dénonçant le fait que des entreprises agréées soient mélangées à de présumés terroristes".
Il a appelé les autorités kényanes à permettre aux entreprises visées de continuer à travailler durant les enquêtes sur de présumés liens avec le terrorisme.
La décision kényane porte un coup dur à ces entreprises, mais aussi à l'économie somalienne d'autant que ces compagnies sont depuis des mois dans le collimateur d'autres pays.
Leurs activités sont suspendues aux Etats-Unis, faute de partenaire bancaire, alors qu'au Royaume-Uni et en Australie, des banques comme la Barclays, soumises à des régulations toujours plus strictes dans le cadre de la lutte antiterroriste, se montrent elles aussi réticentes à les garder comme clients.
ONG dans le collimateur
Les transferts d'argent de ces compagnies reposent sur le système de la "hawala", qui permet à l'expéditeur de déposer à un guichet quelque part dans le monde une somme d'argent remise quelques instants plus tard à son destinataire.
Ce système sans transmission physique de moyen de paiement, basé sur des compensations et la confiance entre les différents acteurs du réseau, remonte au Moyen-Age et est utilisé à travers le Moyen-Orient, en Afrique du nord et dans la Corne ou en Asie du sud.
La hawala, qui permet d'atteindre des zones dépourvues de système bancaire, laisse peu de traces écrites. Elle est sans doute utilisée pour financer des activités terroristes, mais aussi par des millions de Somaliens qui dépendent de l'aide de leurs proches, émigrés à l'étranger.
Samedi, deux jours après l'attaque de l'université de Garissa, à 150 km de la frontière somalienne dans l'est kényan, le président kényan Uhuru Kenyatta avait averti que ceux qui "planifient et financent" le terrorisme étaient "profondément implantés" dans la société kényane".
L'attaque, dans laquelle 142 étudiants, trois policiers et trois soldats ont été tués, est la plus meurtrière sur le sol kényan depuis l'attentat d'Al-Qaïda contre l'ambassade des Etats-Unis à Nairobi en 1998 (213 morts).
Parmi les ONG également citées au JO mercredi, figurent notamment les associations Muslims for Human Rights (Muhuri) et Haki Africa qui luttent contre la stigmatisation des populations musulmanes kényanes, essentiellement originaires du Nord, de l'Est et de la côte du pays, et la répression aveugle dont elles sont victimes quand le pays est frappé par une attaque des shebab.
"Nous ne faisons que mettre en place des programmes de défense des droits de l'Homme, pas du terrorisme. Tout retard dans l'accès à nos fonds aura un impact négatif sur notre travail", a déploré le directeur de Haki Africa, Hussein Khalid.
Hassan Abdile, son homologue de Muhuri a assuré que l'ONG "était en règle" et "ses rapports financiers ouverts pour examens", appelant le gouvernement à revenir sur sa décision, afin de ne pas pénaliser les bénéficiaires pauvres de ses programmes.
8 avr 2015
Source : AFP