dimanche 24 novembre 2024 02:58

Afrique du Sud: "ils sont venus avec des bâtons et des couteaux"

Depuis son arrivée en Afrique du Sud, Josaphate Ciza se débrouillait en faisant du "salon coiffure", gagnant de quoi louer une chambre. Comme plus d'un millier d'immigrants attaqués depuis deux semaines à Durban (est), elle n'a plus de rien, ni toit ni avenir.

"Il y a des gens qui sont venus avec des bâtons et des couteaux", raconte cette Congolaise à l'AFP au camp d'Isipingo où la fondation musulmane Al-Imdaad assiste plus de 300 étrangers pourchassés, tous Africains.

Sur place, beaucoup d'interlocuteurs zoulous répètent aux journalistes étrangers que "ce n'est pas de la xénophobie", et préfèrent parler de simples "affrontements entre noirs" dans une province qui a connu une quasi-guerre civile attisée par le pouvoir blanc au début des années 1990, alors que l'apartheid s'effondrait.

Tentes, couvertures, vêtements, repas, soins: les réfugiés des attaques, qui ont fait au moins six morts et témoignent d'un climat socio-économique instable, manquent de tout.

La peur est omniprésente. Les rumeurs aussi, véhiculées par des photos à l'authenticité douteuse mais suffisantes pour terrifier des esprits déjà traumatisés par ce nouvel épisode de chasse aux étrangers. En 2008, il y avait eu 62 morts, dont une vingtaine de Sud-Africains pris dans les violences, et des dizaines de milliers de déplacés.

Secourue par la police sud-africaine, Josaphate a passé trois jours au commissariat avec de nombreux compatriotes congolais avant d'être amenée au camp.

"J'ai fui la guerre et je me retrouve encore dans la guerre", ajoute cette femme de 29 ans, arrivée de Bukavu (République démocratique du Congo) en mars 2014 et désemparée, un gros poupon de six mois dans les bras.

L'enfant tousse beaucoup et elle s'inquiète. Son logement est déjà reloué par le propriétaire: "Ici, j'avais mon frère. Il est réparateur frigoriste mais on lui a tout pillé et je me demande comment je vais vivre".

 'Haine et jalousie'

L'Afrique du Sud, pays le plus industrialisé du continent, fait figure d'eldorado ou de refuge aux yeux de nombreux immigrants africains.

Pourtant, la pauvreté reste endémique, le chômage chronique et les frustrations énormes parmi la majorité noire, systématiquement brimée par la minorité blanche jusqu'en 1994.

"Régulièrement, ça explose", observe Ali Abdi, un vendeur de vêtements somalien de 38 ans, venu s'approvisionner chez un grossiste du centre-ville. Le quartier a été à son tour gagné par la violence mardi.
"En ce moment c'est calme", dit-il. "Mais à tout moment, cela veut arriver. Il n'y a pas juste une seule raison à ça. En partie, c'est la haine de l'étranger, surtout Africain. En partie c'est de la jalousie".

Contrairement à Josaphate, il habite l'Afrique du Sud depuis 1996 et a un permis de résidence en règle.
"J'étais en train de réparer des téléphones dans mon shop là", raconte Roger Kitondika, un autre Congolais, en montrant un magasin du centre au rideau baissé. "Ils sont venus avec des armes, des machettes, des couteaux", ajoute-t-il en dénonçant l'inaction de la police.

Fondé ou non, ce sentiment que la police locale laisse faire alimente la colère, voire l'esprit de vengeance.
Les communautés se regardent désormais en chien de faïence selon Diaku Dianzenza, président du réseau Africa Solidarity: "Cela devient même difficile de circuler avec les transports publics. Ils voient notre manière de parler ou quand on répond au téléphone".

Inquiète de la tournure prise par les événements, l'Ethiopie, qui déplore au moins un ressortissant tué, s'active en coulisse. "Notre préoccupation immédiate c'est de faire cesser la violence", souligne un diplomate.

"On n'a pas envie d'endommager la relation entre les deux pays", ajoute-t-il. "Les Sud-Africains (les autorités, ndlr) font de leur mieux. Le seul souci c'est la présence policière insuffisante dans les townships. Ils se sont engagés à déployer plus de moyens, on ne peut qu'applaudir. Et politiquement, le gouvernement a appelé les leaders à s'abstenir de toutes déclarations pouvant faire empirer les choses".

16 avr. 2015,  Claudine RENAUD

Source : AFP

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