L’Italie est en première ligne face aux dizaines de milliers de migrants qui franchissent la mer Méditerranée et risquent leur vie pour venir s’installer en Europe. La plupart de ces arrivants ne restent pas dans la péninsule et poursuivent leur route plus au nord, vers l’Allemagne, la France, la Scandinavie, le Royaume Uni.
Mais le nombre d’étrangers augmente dans le pays et des partis xénophobes prospèrent sur cette évolution, notamment en Lombardie et dans la vallée du Pô.
Figure importante de la droite italienne, ancien ministre des affaires étrangères (2004-2006) et ancien président de la Chambre des députés (2008-2013), GianFranco Fini s’est longuement interrogé sur les conséquences de cette immigration lors d’une allocution prononcée à l’Institut français de relations internationales, le 14 avril. Pour lui, l’engagement citoyen et patriotique est un objectif qui doit s’imposer aussi bien au nouvel arrivant qu’à l’Italien enraciné depuis des générations. Lui aussi est à la recherche d’un pacte civique qui pourrait fédérer une population de plus en plus hétérogène. Durant son passage à Paris, il a rencontré l’ancien président de la république Nicolas Sarkozy, qu’il a cité une fois durant son exposé.
« Nous n’avons plus de frontières »
« En ces temps de grandes mutations, il faut concevoir la nation comme un patrimoine collectif qui s’accroit et se renouvelle avec l’engagement de ses citoyens », commence-t-il. « Nous n’avons plus de frontières, ni de protection pour nous maintenir dans nos habitudes et nos certitudes d’autrefois. Les nouvelles générations sont encore moins prêtes à rester sur ces acquis. Leur vie sera plus mobile et flexible mais en même temps plus libre et riche d’opportunités ».
« Des flux migratoires qu’il faut intégrer »
« Le sentiment d’appartenance nationale sera de moins en moins un élément juridique amorphe mais au contraire un élément actif et dynamique », ajoute l’ancien chef de la diplomatie italienne, qui fut aussi vice-président du conseil des ministres (2001-2006) au temps de Silvio Berlusconi. « L’identité des Italiens évoluera en fonction de leur capacité à redéfinir et à renforcer le lien social qui les unit, à se donner des objectifs communs. C’est urgent, du fait des importants flux migratoires qu’il faut intégrer dans le tissu civil, culturel et politique de nos sociétés ».
« Un pays d’émigration devenu terre d’accueil »
« L’Italie s’est transformée soudainement d’un pays d’émigration en une terre d’accueil et d’immigration », souligne-t-il. « Les partis traditionnels, de droite, du centre et de gauche ne l’ont pas encore appréhendé ni compris. Le phénomène migratoire est devenu structurel. L’immigration n’est plus seulement de passage : une composante a l’Italie comme destination finale ».
« Les étrangers, 7% de la population italienne »
« Les faits parlent d’eux-mêmes », insiste GianFranco Fini. « En 2010, près de 5 millions d’étrangers étaient des résidents réguliers en Italie, soit un peu moins de 7% de la population totale. Un sur dix était un étudiant. Cette communauté dite des ‘nouveaux Italiens’ produisaient 9,7% du produit intérieur brut. Ils ont fait naître presque 300 000 PME avec un chiffre d’affaires de plus de cent milliards d’euros par an. Ils représentaient 21% de la force de travail dans les secteurs de la pêche et de l’agriculture, 20 % dans le bâtiment, 22% dans le secteur hôtelier et restauration, 15% dans l’industrie du textile et plus de 50% dans les abattoirs. On constate combien l’immigration régulière et déclarée est indubitablement indispensable. D’où l’urgence d’encadrer politiquement cette évolution ».
« Les immigrants acquièrent peu la nationalité italienne »
« L’Italie est devenue l’un des premiers pays d’immigration de l’Union européenne, avec des niveaux semblables à la France et légèrement inférieurs à ceux de l’Allemagne », compare-t-il. « En revanche, le rythme d’acquisition de la nationalité est très différent. C’est une option à laquelle les immigrants recourent peu, continuant de se sentir et de se vivre comme des passagers en attente d’un retour chez eux, tôt ou tard. Ceci est dû à notre cadre juridique et normatif. La loi de 1992, conçue dans une période très différente de la nôtre, prévoit un parcours purement quantitatif et administratif avec un temps d’obtention de dix ans qui en réalité est plutôt de 13 à 15 ans. Ceci limite de facto la pleine acquisition des droits civiques et politiques ».
« Des enfants dans un dangereux entre-deux »
« À mon avis, il est urgent de réformer ce cadre et d’adopter une législation qui garantisse une acquisition de la nationalité dans une optique active et qualitative », déclare l’ancien n°2 du gouvernement. « Il y a un problème notamment pour les enfants qui naissent en Italie de parents non Italiens. Abandonnés dans un dangereux entre-deux, dans une sorte de purgatoire, ils risquent une marginalisation sociale et scolaire et peuvent être poussés vers l’identité ethnique ou religieuse de leurs parents. A titre personnel, je souhaite donc modifier le principe du droit du sans sur lequel est basée notre législation nationale italienne. Je pense à un droit du sol tempéré et conditionné, fondé notamment sur une stabilité de la famille en Italie et sur la participation de l’enfant aux premiers parcours scolaires et de formation. La nationalité doit être issue d’un choix conscient, d’un acte de volonté qui détermine un changement par rapport à la condition d’origine ».
« Au-delà de la Cité, il n’y a que la Bête ou Dieu »
« L’élargissement de la nationalité doit aussi exiger une implication active dans la vie de la Cité », explique-t-il. « Aristote écrivait qu’au-delà de la Cité, il n’y a que la Bête ou Dieu. C’est son être politique, citoyen, qui donne à l’homme son humanité ».
« Les limites du modèle français d’assimilation »
« Pour forger son propre modèle d’intégration, l’Italie peut s’appuyer sur les expériences d’autres pays européens, notamment la logique d’assimilation en France et celle du multiculturalisme en Grande-Bretagne », poursuit GianFranco Fini. « Les limites du modèle français sont apparues il y a quelques années à travers les désordres dans les banlieues des grandes villes. Il est symptomatique que ceux-ci aient été créés par des jeunes de la 2° et 3° génération issue de l’immigration. Ces jeunes nés et ayant grandi en France affirmaient avec rage une identité d’origine, celle des pays d’où venaient leur père ou leur grand-père. Aujourd’hui encore, beaucoup sont Français tout en se sentant des Français de seconde classe, dépourvus d’une identité précise. Ils vivent dans une société qui déclare l’égalité des citoyens mais ils se voient nier certains droits, entre autres celui d’exprimer dans l’espace public une culture religieuse héritée ».
« La mega mosaïque du Londonistan »
« Le modèle britannique du multiculturalisme est encore plus déficitaire et décevant », soutient-il. « Il a produit l’auto-exclusion. Dans la mega mosaïque du fameux Londonistan, de nombreuses enclaves vivent l’une à côté de l’autre sans que rien ne les unisse à la communauté. Ce qui domine, c’est le tribalisme, la fragmentation sociale, la rébellion envers l’autorité qui peut aller jusqu’à l’acte terroriste. La faiblesse du multiculturalisme, c’est qu’il ne pose pas en interlocuteur la personne, l’individu, mais sa communauté ethnique et/ou religieuse. Les droits et devoirs du groupe passent au premier plan. Les communautés étrangères ont ainsi pu se faire une place mais sans être vraiment accueillies. Elles ont été tolérées mais pas respectées. Le multiculturalisme à l’anglaise a fait preuve d’indulgence dans le seul but d’éviter les fractures. Mais in fine, un ensemble de ghettos ne constituent pas une Cité ».
« Une nationalité renouvelée pour les Italiens »
« À la lumière de ces échecs, l’Italie doit agir avec la conviction que l’intégration suppose l’exercice d’une pleine citoyenneté politique et sociale », déclare l’ancien président de la Chambre des députés. « Une nationalité nouvelle pour celui qui arrive doit s’accompagner d’une nationalité renouvelée pour les Italiens. Ainsi, le défi de l’intégration nous concerne tous, ce qu’une partie de l’opinion occulte, par superficialité ou par peur. Trop souvent, l’immigration est seulement vue comme un problème de sécurité ».
« Un vent d’intolérance par rapport aux musulmans »
« Aujourd’hui, en Italie, il y a dans l’air un vent d’intolérance par rapport aux immigrés de religion musulmane », met-il en garde. « Naturellement, elle est alimentée par les crimes de Daech au Moyen Orient. Le paradoxe est qu’à l’intolérance et à la peur s’oppose souvent une indulgence et une bienveillance pseudo culturelles absurdes. Une étonnante proposition a circulé un moment dans les milieux dits progressistes : considérer dans le calendrier public les festivités des trois grandes religions monothéistes. Or il ne faut pas confondre les enjeux civiques et politiques avec les questions à caractère religieux. Toute tentative d’harmoniser les différences et de garantir l’intégration en partant d’une identité de groupe, religieuse ou ethnique, provoque des fractures, des divisions et des vétos. Considérer les communautés comme des sujets de droit finit par déstabiliser les fondements de notre culture juridique ».
« La laïcité pose une grande difficulté à l’Islam »
« Le défi de l’intégration suppose de bien réaffirmer la laïcité des institutions de l’État », souligne GianFranco Fini. « L’espace de la Cité est étymologiquement profane. Depuis l’Antiquité, la Cité est face au Temple, en dialogue avec la dimension religieuse mais existant en soi. Cette conception est à la base des démocraties occidentales. Or elle pose une grande difficulté à l’Islam. Dans la culture musulmane, la laïcité est une notion totalement méconnue, à la limite même du blasphème. Littéralement, Islam signifie soumission à la volonté d’Allah, à chaque moment de la journée et de la vie. Dans ce sens, l’Islam est une religion totalisante. Pour le musulman, il ne peut exister une raison d’être différente de la volonté divine. Pour les musulmans qui vivent en Occident, il est difficile d’accepter la loi de l’État quand elle ne coïncide pas ou s’oppose aux préceptes et aux obligations de sa foi religieuse ».
« Le pays des cent villes et des mille clochers »
« Quant à l’Italie, elle n’a jamais été imperméable aux différences », lance-t-il. « Depuis toujours, c’est le pays des cent villes et des mille clochers, composé de traditions multiples et diverses, d’apports culturels différents et variés. C’est dans cette histoire-là que se situent la particularité et l’unicité d’un modèle italien possible. De manière synthétique, on pourrait dire que l’Italie doit être à celui qui l’aime et la mérite. Le défi d’intégration concerne tous les Italiens, pas seulement ceux qui souhaitent le devenir. Si l’Italie ne se retrouve pas elle-même et n’est pas capable d’être une communauté nationale, consciente de son histoire, comment les immigrés pourraient-ils et voudraient-ils s’intégrer? »
« Comprendre l’amour de sa patrie »
« L’amour de la patrie nait de l’éducation », conclut l’ancien vice-président du Conseil, venu d’un parti néo fasciste qu’il a su transformer en un parti de droite pro-européen. « Il se développe dans le cadre des lois de l’État, s’accroit avec l’exercice des droits et l’accomplissement des devoirs et obligations individuels. Il conduit à une participation active à la vie de la Cité, quelle que soit l’origine du citoyen. L’objectif premier d’une nouvelle politique d’intégration doit être de propager cette manière d’adhérer à l’amour de sa patrie ».
20 avril 2015, Jean-Christophe Ploquin
Source :La Croix