Gode Mosle a beau être installé dans la paisible Suède depuis six mois, le souvenir de sa traversée de la Méditerranée continue de le hanter et il assure que jamais il ne referait un tel voyage.
Grand, mince, ce jeune Syrien de 22 ans frissonne quand il évoque son périple et le souvenir du port de Zouara dans l'ouest de la Libye où il a embarqué sur un chalutier délabré.
"J'ai dit à mes amis en Syrie de ne pas prendre ces bateaux (...). Il faut qu'ils viennent par la Turquie et la Grèce, même si c'est beaucoup plus cher", explique-t-il à l'AFP dans un suédois hésitant auquel succède l'arabe traduit par un interprète.
Le jeune homme est originaire de Damas. Ancien technicien chez un photographe, la traversée l'a autant transformé que les dangers qui l'ont forcé à fuir son pays.
"On était environ 700 dans le bateau mais il n'y avait en fait de la place que pour la moitié".
"Ces passeurs sont des animaux. Ils crient sur les gens, les volent et les frappent quand ils embarquent. C'était une sorte de torture psychologique qui a commencé avant même le bateau", se souvient-il lors de sa rencontre avec l'AFP au centre culturel syrien de Vällingby dans la banlieue de Stockholm.
Il y a plus de six mois, il a versé 6.000 dollars (5,500 euros) à un passeur libyen pour pouvoir traversé la mer Méditerranée avec son frère.
Avant cela, ils avaient été forcés d'attendre un mois dans un camp de fortune dans le désert dans l'ouest de la Libye où les trafiquants rassemblent les réfugiés désireux de tenter leur chance et forment certains d'entre eux à la navigation pour qu'ils assurent eux-mêmes la traversée.
Deux Africains morts d'asphyxie
Le bateau avait trois ponts, dont une cale, dans laquelle se trouvaient principalement des Africains se rappelle le jeune homme toujours traumatisé. Les Syriens étaient sur les deux autres ponts.
"Deux Africains sont morts dans la cale (...). Ils ont été asphyxiés, ils ne pouvaient pas respirer à cause des émanations du moteur".
"C'était bancal, on ne pouvait pas se mettre debout ou bouger. Dès que quelqu'un le faisait le bateau menaçait de chavirer".
"Il y avait beaucoup de hurlements", se souvient-il très ému.
Peu après avoir quitté les côtes libyennes, le moteur est tombé en panne et l'embarcation s'est mise à dériver pendant deux heures, à la grande panique des passagers.
Par chance, deux Syriens étaient mécaniciens et ont réussi à réparer le moteur et faire repartir le chalutier qui a continué sa route pendant dix heures avant d'être appréhendé par un navire italien au sud de Malte.
Une fois en Italie, Gode Mosle, qui a choisi d'utiliser un pseudonyme par crainte de ne pas obtenir de permis de séjour s'il partage son histoire sous son propre nom, et son frère ont voyagé jusqu'en Suède pour y demander l'asile.
En 2013, la Suède a été le premier pays européen à accorder l'asile à tous les réfugiés syriens. Depuis, près de 50.000 d'entre eux y sont arrivés.
'Je ne peux pas oublier'
Quelque 1.750 personnes ont perdu la vie depuis le début de l'année en tentant de traverser la Méditerranée a déploré l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) alors que l'UE se dit prête à lancer une opération militaire pour mettre fin au drame des migrants.
"Je suis content d'être arrivé ici. C'est un peu irréel mais je me sens en sécurité", affirme M. Mosle, qui partage désormais un appartement à Stockholm avec son frère et espère trouver du travail.
"Je ne referais pas ce voyage. Je ne peux pas oublier ce que j'ai vu", dit-il.
Les projets de l'Union européenne de détruire les bateaux avant qu'ils ne soient utilisés par les trafiquants et d'empêcher les réfugiés d'embarquer sont selon lui voués à l'échec, tant que les gens fuiront une situation plus dramatique.
"Les gens veulent vivre, c'est pour ça qu'ils embarquent sur ces bateaux", conclut-il.
24 avr. 2015,Tom SULLIVAN
Source : AFP